Un projet sur le « racisme médical » au Québec

Interpellée par le décès de Joyce Echaquan, le 28 septembre 2020, à Joliette, la Clinique juridique de Saint-Michel (CJSM) lance un projet d’accompagnement, de référencement et de sensibilisation sur le « racisme médical ». Le projet, qui cible les personnes issues de l’immigration récente, les réfugiés, les jeunes délinquants, les sans-abri, entre autres, en est à ses balbutiements.
Le CJSM tente de recueillir des témoignages de victimes par tous les moyens, dont une soirée galerie d’art le 19 mai à La Tohu, à Saint-Michel. Un appel aux témoignages et aux dons est lancé. Le but est d’assister les victimes dans leur processus de plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), aux syndics des ordres professionnels concernés, aux établissements de santé et dans la rédaction des restes et de les rediriger vers les ressources appropriées.
Le Dr Wolf Thyma, médecin et psychiatre en résidence, lui aussi victime de racisme médical, travaille actuellement sur le projet avec une dizaine de bénévoles : 5 étudiants en droit, deux avocats, deux médecins et une infirmière clinicienne issus des communautés. culturel.
» Ces gens »
Wolf Bob Emerso Thyma venait de terminer un diplôme en droit et étudiait en 2e année de médecine lorsque son père est admis à l’urgence d’un hôpital de Montréal pour une fièvre qui dure depuis plus de quatre jours et avec altération de la conscience. L’infirmière de garde prend sa température buccale et le renvoie en salle d’attente. « L’infirmière était prête à le laisser partir, avec une altération de conscience, elle m’a dit que je ne pense pas que ce soit quelque chose de grave », se souvient celui qui est devenu médecin entre-temps depuis mai dernier.
Il demande alors à l’infirmière de prendre la température rectale pour s’assurer de la fiabilité du test. Avec beaucoup d’agacement, l’infirmière le fait et à ce moment, son père a une température de 39,5. Une équipe le prend immédiatement en charge et l’infirmier quitte la chambre.
Dans le couloir, elle croise un ambulancier, – blanc aux yeux bleus, cheveux bruns, – et elle lui dit : ces gens, c’est toujours la fin du monde avec eux. Le gars, il a juste une petite grippe et ils paniquent.
Dr Loup Thyma
Mais, il s’avère que l’ambulancier en question est le beau-frère du Dr Thyma, ce que l’infirmière ne connaissait pas. « Mon beau-frère lui dit que c’est de ma famille dont tu parles comme ça en ce moment. Ce que tu fais ici, c’est du racisme.
« Vous autres »
Alors qu’il commençait à aller mieux, la santé du patient s’est détériorée rapidement et il s’est évanoui. L’hôpital appelle la famille au milieu de la nuit pour les informer. Lorsque Wolf Thyma arrive, accompagné de sa mère, une équipe tentait de le réanimer. L’étudiant en médecine comprend immédiatement que c’est fini, mais sa mère est complètement déprimée. « Sous l’effet de la surprise de voir son mari mourir, elle tombe à genoux en criant de douleur.
Et l’infirmière lui a répondu, et j’étais là : ça suffit, je ne veux plus entendre un mot. Vous les gens, et je veux dire vous les gens, vous pensez que vous pouvez faire ce que vous voulez. Moi aussi j’ai perdu ma mère il y a quelques mois je n’ai pas réagi comme ça, je ne veux plus entendre un mot.
Dr W. Thyma
C’est trois jours après son admission à l’hôpital que le patient décède officiellement d’une méningite bactérienne (bactérie présente dans son cerveau). Le Dr Thyma se souvient avoir été « blessé et horrifié » par la mort de son père, mais aussi par les propos du personnel soignant, mais dit avoir « eu besoin de calme pour prendre une décision ». Il affirme s’être excusé auprès de l’infirmière malgré tout pour calmer la situation afin de mieux soutenir sa mère endeuillée.
« Je regrette de ne pas avoir porté plainte à l’époque, dit-il, car cette personne ne nous a pas traités comme des êtres humains. J’avais, à l’époque, écrit une lettre d’opinion dans Le Devoir, ce qui m’avait valu une tonne de commentaires racistes et haineux. Ils m’ont appelé le mot N et m’ont invité à rentrer chez moi », se souvient-il.
Et ce n’est pas fini.
Trois ans plus tard, alors qu’il était en résidence dans un hôpital de Montréal, le coordonnateur de son internat balance avec un groupe d’étudiants dont il faisait partie : « Ah…, il ne faut pas faire confiance aux patients haïtiens parce qu’ils ne sont pas fiables, ils exagèrent tout le temps. Le Dr Thyma est d’origine haïtienne.
Wolf Bob Emerso Thyma a grandi à Saint-Michel. Pendant ses études en droit et en médecine, il a travaillé dans des organismes communautaires et a observé la détresse souvent psychologique des communautés racisées. Avocat et médecin, il décide alors de se spécialiser en santé mentale (5 ans de plus) afin d’aider sa communauté aux prises avec des maladies mentales ou des problèmes de santé mentale.
Un thème « effrayant »
Étudiante en droit et coordonnatrice du projet CJSM, Wafaa Ghlamallah dit avoir beaucoup de difficulté à faire avancer ce travail. En plus d’un manque de financement – le projet a besoin de 75 000 dollars pour être mené à bien – les victimes semblent être stigmatisées
« Il y a une grande difficulté à recueillir des témoignages. Plus que ce à quoi je m’attendais, ce sont des blessures que nous ne voulons pas rouvrir, car cela laisse des cicatrices psychologiques sur la personne », explique Mme Ghlamallah. De plus, certaines agences gouvernementales hésitent surtout devant le titre du projet.
Le terme de racisme médical fait peur, certains craignent qu’il ne conduise à des tensions.
Wafaa Ghlamallah, coordinatrice du projet Medical Racism.
Le CJSM a demandé plusieurs subventions, mais seuls quelques groupes ont répondu. Le directeur général de la Clinique juridique, l’avocat Fernando Belton, indique que seuls quelques députés de Québec solidaire (QS) et de l’Observatoire du racisme ont répondu à l’appel et ont cotisé 10 000 chacun, pour un total de 20 000.
Le projet CJSM vise, entre autres, à rendre disponibles des données préliminaires au Québec, qui ne dispose pas d’enquête sur la question, alors qu’aux États-Unis, les données abondent. Un livre de 40 à 50 pages, qui servirait d’outil aux victimes du racisme médical et qui serait rédigé en collaboration avec un avocat, des partenaires du CJSM et des étudiants bénévoles, sera produit à la fin du projet.
journalmetro