Un 1er mai historique | Humanité

Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce déjà historique. D’abord par sa dimension fédératrice, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait aussi à la mobilisation, mais sans Force ouvrière ni la CFTC.
Pour 64% des Français, la contestation sociale doit continuer
Ce nouvel événement intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.
Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont déjà prévus, contre environ 200 dans l’ordinaire. « On sent une montée en puissance des manifestations, avec une volonté de rassembler au plus près des bassins d’emploi.explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui est en jeu, c’est la poursuite du mouvement. »
Par ailleurs, pour 64% des Français, selon l’Institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire, c’est d’avoir identifié, encore une fois, le 1euh Mai comme date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront également présents Esther Lynch, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).
La non-application de la réforme est possible
CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat premier travail (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la réforme des retraites le 15 avril.
En effet, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, en Journal officiel exclut la possibilité d’obliger le Président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet de loi aux députés. « Donc, si vous voulez revenir au Parlement, vous devez déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil depuis le début »précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.
Cependant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut contraindre le Président de la République à ne pas publier les décrets d’application.
Deuxième demande de RIP déposée par des parlementaires de gauche
Au niveau parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une deuxième demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.
« Mais cette demande reprend l’unique article de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’entraînait pas de modification de la loitempère Benjamin Morel, accompagné d’un deuxième article visant à moduler les niveaux de CSG. Or, la jurisprudence issue de la PER sur les surprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »
Les sages donneront leur avis le 3 mai. Le succès du 1er mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une solution démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des projets de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront aussi appelés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.
Le mouvement renouvelle ses modes d’action
Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un voyage houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et salué par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite au CHU de Poitiers ; Les équipes d’Emmanuel Macron, qui fournissent un groupe électrogène de secours, en cas de coupure de courant lors des tournées présidentielles… A l’approche du 1er mai, la contestation sociale a changé de nature.
La casserole, utilisée par les manifestants pour protester lors du discours de l’Élysée le 17 avril, est devenue le symbole de ces coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous avons tenu à préciser que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner le glas.», assure Youlie Yamamoto, d’Attac.
L’organisation a initié ces « casseroles », après une « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît le porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement réalisé par le syndicat Solidaires Informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.
Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Elysée avec un camion arborant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique envahissent le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».
L’intersyndicale appelle à une refonte de la social-démocratie
« La réforme de 2017 a accordé une confiance aveugle aux employeurs pour atteindre les objectifs fixés dans les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce « en même temps » a fait une victime : la qualité du dialogue social »déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.
Le secrétaire général de la CFDT a ainsi dénoncé la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des représentants du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus et de leur pouvoir d’action »analyse le sociologue Baptiste Giraud.
A l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, 52% des syndicats sont désormais perçus comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46%, – 13 points).
La CFDT a 10 propositions visant à redonner du pouvoir au personnel élu, dont la nomination d’élus locaux dans les entreprises de plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT réclame le rétablissement des instances supprimées en 2017 et la suspension « de tous les accords régressifs », y compris les ruptures contractuelles collectives.
Les travailleurs à l’offensive pour les salaires
L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus frappant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.
« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites contribue au rapport de force dans l’entreprise. »Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros bruts par mois d’augmentation. Une façon pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Elisabeth Borne.
L’éditeur d’un jour. Un événement dont on se souviendra
Le 1er mai, Journée internationale des travailleurs, existe depuis près de cent trente-cinq ans, lancée par le mouvement ouvrier et la CGT pour exiger la réduction du temps de travail et la paix. Rien de nouveau à venir défiler cette année, alors ? Eh bien, pas du tout ! Ce 1er mai 2023 sera sans précédent en France. Outre que ce sera le 13ème jour de manifestation contre la réforme des retraites, c’est la première fois que tous les syndicats l’appellent. C’est aussi la première fois que la dimension internationale s’affirmera ainsi, avec près de 100 syndicalistes venus des cinq continents pour manifester leur soutien à la mobilisation française. Elle sera aussi familiale, festive et populaire. Trois bonnes raisons de participer. Mais le quatrième est le plus important. Notre numéro, le 1er mai, est décisif pour gagner. Le 8 juin, un projet de loi abrogeant la réforme des retraites sera examiné par l’Assemblée nationale. Et il a toutes les chances d’être voté, si la mobilisation et la pression sur les députés se poursuivent. Alors, ce 1er mai, avec nos familles, nos amis, nos voisins et nos collègues, soyons là, descendons dans la rue pour enterrer la réforme des retraites et mettre à l’agenda des perspectives de progrès !
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