Transformer des bureaux vides en logements, une mode ?

Les partisans de la formule disent qu’elle fait d’une pierre deux coups. Les bureaux vides héritent d’une nouvelle vie ; aspirants locataires, un toit. L’idée fait son chemin au Québec, Le devoir s’intéresse aux villes d’ailleurs qui commencent à le tester.
A Paris, certains propriétaires d’immeubles de bureaux seront bientôt contraints de fournir des logements, explique Audrey Camus, vice-présidente développement et gestion d’actifs pour l’Europe chez Ivanhoé Cambridge.
Avec son nouveau Plan d’Urbanisme « bioclimatique », la maire Anne Hidalgo veut imposer l’ajout d’un maximum de logements abordables dans leurs immeubles. Les permis de construire et de rénovation y seraient donc conditionnés.
« C’est encore très contraignant. […] C’est la première capitale que je vois faire ça », note M.moi Camus.
Sur le site Internet de la Ville de Paris, une carte interactive indique, à l’aide de points, les zones qui seraient soumises au Plan.
Est-ce que c’est une bonne idée ? « Je ne sais pas », répond M.moi Camus. Cela peut avoir deux effets. Soit ça gèle, et les investisseurs ne font rien, soit [ils font] rénovations minimalistes pour éviter de demander des permis. […] Ou, l’effet inverse est que, sous la contrainte, cela se produira. »
A sa connaissance, aucun grand projet de reconversion n’a encore été lancé dans la Ville Lumière. Le plan d’urbanisme fait l’objet de consultations et devrait normalement être adopté en 2024.
Les effets de la pandémie se sont peut-être atténués en Occident, mais le télétravail s’est installé, laissant les tours de bureaux presque désertes. Avec la crise du logement qui perdure, et l’augmentation de l’itinérance dans les centres-villes, l’idée de reconvertir des bureaux semble de moins en moins farfelue.
« Est-ce la réponse à la crise du logement ? le chroniqueur Matt Haber a récemment demandé au quotidien britannique Le gardien. A San Francisco, 73% des surfaces de bureaux sont inutilisées, alors que les Etats-Unis accusent un déficit de 3,8 millions de logements, a-t-il souligné. « Après tout, ces deux problèmes pourraient se résoudre mutuellement. »
Ce ne serait pas la première fois que cela arriverait. Au cours des années 1980, un grand nombre d’anciennes usines désertées avaient été reconverties en grands lofts, a-t-il également rappelé.
Chicago, pionnière en Amérique
Pour l’instant, le phénomène reste marginal, mais la formule subit ses premiers tests. De notre côté de l’océan, la ville de Chicago, réputée pour son ambition architecturale, est à l’avant-garde en la matière. En septembre, l’administration municipale a lancé un grand concours pour financer des projets d’inclusion résidentielle dans les grands immeubles de la rue LaSalle, dans le quartier des affaires.
Six grands projets doivent être présentés le 2 mars, lors d’une réunion publique. Les développeurs proposent de développer des centaines de studios dans les tours qu’ils possèdent. La Ville exige qu’un tiers des logements soient abordables, c’est-à-dire que le revenu total des locataires ne dépasse pas 50 040 $ US pour un couple. Des centaines de millions de dollars d’investissements sont en jeu.
Le projet LaSalle fait partie d’un effort plus vaste visant à revitaliser le centre-ville de Chicago en vue d’en faire un modèle d’innovation pour tout le pays. Des concours d’art public sont également au programme.
La reconversion des bureaux en logements est une tendance qui touche aussi San Francisco, dont le centre-ville a plus que les autres souffert de l’engouement pour le télétravail. Un premier projet du genre – Warfield – est dans les cartons. Le promoteur propose de transformer cinq étages de bureaux, au-dessus de sa salle de spectacle, en appartements. Au total, 34 petits logements seraient construits, dont 7 dans la catégorie « abordable ».
Plus près de chez nous, en Alberta, trois immeubles de bureaux à Edmonton et à Calgary ont été transformés en immeubles d’habitation. Au-delà des bénéfices pour le logement, le promoteur — Strategic Group — se dit motivé par la réduction des gaz à effet de serre (GES). Les reconversions de bâtiments génèrent 80% de GES en moins que les constructions, soulignait son vice-président, en décembre, au magazine Maclean’s.
Et au Québec?
Chez nous, le sujet a été évoqué notamment en lien avec la crise des sans-abrisme. « Nous savons que nous ne reviendrons plus jamais dans les bureaux de la même manière. Au centre-ville, il y a des bureaux vides partout », mentionnait récemment Céline Bellot, professeure en travail social à l’Université de Montréal, en entrevue avec le Devoir. « Oui, il faut construire [du logement social] mais, en même temps, il y a une sous-utilisation de nombreux endroits. »
En janvier, le président de la Mission Old Brewery, James Hughes, avait avancé sur le même terrain dans une entrevue avec la chaîne montréalaise CityNews. « Nous sommes très bons pour convertir des hôtels et des églises en logements », a-t-il déclaré. Pourquoi ne pas également aménager des bureaux ?
La Ville de Montréal « explore » différents scénarios, indique le responsable de l’urbanisme au comité exécutif, Robert Beaudry. La réflexion a été « amorcée avant même la pandémie » et s’est « accélérée » depuis.
Une bonne partie du centre-ville possède déjà un zonage mixte, ce qui permettrait ce genre de projet, mentionne-t-il d’emblée. « L’enjeu n’est pas forcément au niveau de la réglementation, mais plutôt des enjeux techniques liés à la reconversion, comme les lieux d’accès et la hauteur des locaux. »
Pour l’instant, Montréal n’a rien amorcé, mais l’intérêt est là. « Nous étudions quelles pourraient être les voies d’accélération de la transformation de certains bâtiments, quels bâtiments pourraient être intéressants. »
Les bâtiments de classe C ciblés
En attendant, le sujet fait certainement jaser dans le milieu de l’habitation, note Jean-Marc Fournier, président de l’Institut de développement urbain de Québec.
« Il est possible que certains bâtiments – probablement de classe C – soient convertis », dit-il. La classe C fait référence aux constructions de moindre valeur. Ils sont plus anciens, mais n’ont aucun cachet et sont situés dans des quartiers moins prisés.
Mais, là encore, les contraintes techniques sont énormes. « C’est plus une question d’architecture que de volonté, poursuit-il. « La mécanique, la plomberie, la surface des immeubles de bureaux ne s’y prêtent pas forcément. »
Par exemple, les fenêtres concentrées autour de ces bâtiments limitent la lumière naturelle disponible pour les futurs logements. De plus, la plomberie est conçue pour les grandes salles de bain partagées, pas pour les petites habitations.
Des constatations similaires à celles faites à Paris, selon Mmoi Camus : « Le premier obstacle à cela est le coût de traitement. Certes, dit-elle, les beaux immeubles de type « haussmannien » pourraient facilement être reconvertis puisqu’il s’agit précisément d’anciens appartements qui ont été transformés en bureaux par le passé. Sauf qu’ils sont tellement « bien placés » que le marché pèse plutôt pour qu’on les laisse dans les bureaux.
« En revanche, les immeubles construits durant les années 1980, 1990 avec des façades entièrement vitrées, relativement épaisses, n’ont pas été conçus pour être transformés en logements. Le coût de la transformation est donc très élevé », dit-elle.
Dans de nombreux cas, il serait plus réaliste de démolir et de reconstruire. « Mais là, on se heurte au bilan carbone de la démolition. »
Enfin, au-delà de la faisabilité, il faut tenir compte du message que l’on envoie, souligne Jean-Marc Fournier. « Quel avenir pour les immeubles de bureaux ? Quel avenir pour les centres-villes ? Le télétravail est-il là pour longtemps ? […] Je ne jetterais pas l’éponge aujourd’hui pour un lieu d’affaires de type centre-ville [avec] grands bureaux. »
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