Tradition, fragmentation et indifférence : le combat de Saint-Henri–Sainte-Anne

Beaucoup de gens se pressent, baissent les yeux, ne prennent pas la peine de s’arrêter, malgré la main tendue du jeune leader politique. Vous n’avez pas besoin d’avoir un ego pour faire ce travail., confie, avec un sourire narquois, Gabriel Nadeau-Dubois. Plusieurs passagers sont en transit et n’habitent pas dans la circonscription, d’autres n’ont pas la citoyenneté canadienne.

C’est juste une petite élection locale, me dit Cristina, pas convaincue du tout que les citoyens vont se bousculer dans les bureaux de vote lundi prochain. Son choix est déjà fait, mais elle préfère le garder pour elle.

Si les élections partielles réussissent parfois à captiver les électeurs bien au-delà des limites des circonscriptions où elles se déroulent, cela ne semble pas vraiment être le cas cette fois-ci.

À part quelques reportages ici et là, les grands médias montréalais n’ont pas montré beaucoup d’intérêt pour la course. Il faut dire que le taux de participation moyen aux dernières élections partielles tenues sur l’île de Montréal a à peine dépassé les 25 % au cours des dix dernières années.

Taux de participation aux élections partielles tenues sur l’île de Montréal au cours des 10 dernières années :

  • Gouin (29 mai 2017) : 33 %

  • Verdun (5 décembre 2016) : 29 %

  • Saint-Henri–Sainte-Anne (9 novembre 2015) : 24 %

  • Outremont (9 décembre 2013) : 26 %

  • Viau (9 décembre 2013) : 17 %

  • Moyenne : 26 %

Source : Directeur général des élections du Québec. Les pourcentages ont été arrondis.

Aux faibles taux de participation passés s’ajoute l’importance relative de l’élection. Peu de gens se souviendront des résultats de lundi à la prochaine élection générale en 2026. Et à quatre ans de la prochaine date électorale, les résultats de cette partielle ne risquent pas d’avoir beaucoup d’influence sur la dynamique politique à l’Assemblée nationale non plus. On est loin des luttes pour finir à Chauveau ou à Louis-Hébert, qui avaient assez agacé, tour à tour, les CAQ et le PLQà l’époque du gouvernement Couillard.

Une femme s’enthousiasme à la vue de Gabriel Nadeau-Dubois. Comme bien d’autres passagers, Lorraine a déjà voté… et elle a voté pour Québec solidaire. Ici c’est rouge, rouge, rouge ! Toujours des libéraux avec des grosses casquettes… mais le quartier, on s’en sort pas, déplore-t-elle. Elle espère voir QS prévaloir. Je croise les doigts puis les orteils !elle rit.

De retour du travail, Melissa s’attarde longuement auprès du candidat. Anglophone, elle est d’accord avec toutes les idées de Québec solidaire… toutes sauf une : la séparation.

Je lui demande ensuite si elle était convaincue. Elle hésite. Les libéraux ne sont pas très bons, mais avec eux, c’est clair. Au fond, est-ce que je peux vraiment voter pour un parti qui ne veut pas rester au Canada ? Elle prendra le week-end pour y réfléchir.

Selon les plus récentes données de Statistique Canada, 59 % des résidents des circonscriptions parlaient le français le plus souvent à la maison en 2021 et 32 ​​% parlaient l’anglais. Il est facile de comprendre dans le contexte pourquoi le chef libéral, Marc Tanguay, a reproché à Québec solidaire, dès les premiers jours de la campagne, d’avoir appuyé le projet de loi 96 visant à renforcer la Charte de la langue française.


Lorsque je le rejoins pour une brève rencontre, le candidat libéral Christopher Baenninger est en visite au Centre sportif de la Petite-Bourgogne, en compagnie du député Enrico Ciccone. Le candidat libéral, me dit son attaché, privilégie les rencontres dans les organismes communautaires, qui permettent des échanges plus soutenus avec les citoyens.

Une femme, à l’œil malicieux, interpelle l’ancien hockeyeur, dont la taille dépasse le mètre quatre-vingt-dix : Toi, je te dis : assieds-toi si je veux te parler, elle rit. Cependant, elle ne vit pas dans le quartier et ne peut donc pas voter.

Le candidat Baenninger pose des questions sur les besoins du centre sportif à son directeur général et promet de voir s’il est élu lundi prochain. Ce dernier souligne que la circonscription croise des réalités très différentes selon les secteurs. C’est un quartier avec beaucoup de HLM, mais avec beaucoup de condos, un quartier très multiethnique. A chacun ses besoinsnote Dickens Mathurin.

Les membres de son centre sont-ils intéressés par l’élection ? Les gens ne m’en parlent pas, il à répondu. Dans le hall du complexe sportif, Diana acquiesce. Le quartier est très fragmenté, de nombreuses communautés. On ne sent pas vraiment l’intérêt.

Un habitué du centre fait un pronostic : Je pense que ça va être libéral, comme d’habitude. Les personnes âgées, nous sommes plus fidèles.

D’autres hésitent, tout en déplorant qu’il faille choisir un nouveau député, cinq mois à peine après les dernières élections. Si nous avions voté pour un autre parti la dernière fois, nous n’aurions pas eu besoin de voter à nouveau.

Une dame me dit que sa famille fait partie de la communauté noire anglophone de la Petite-Bourgogne depuis plusieurs générations. Fidèle à la tradition familiale, elle soutiendra le Parti libéral.

Nicole, pour sa part, se méfie surtout du parti de François Legault : Il ne faut pas trop leur donner car ils nous achètent avec notre argent. Elle fait référence aux affiches électorales du CAQsur lesquelles figurent des promesses de baisses d’impôts. M. Legault, il ne nous représente pas tous, même si c’est ce qu’il ditElle ajoute.

Résultats à Saint-Henri–Sainte-Anne le 3 octobre 2022 :

  • PLQ : 36%

  • QS : 28%

  • CAQ : 18%

  • PQ : 8%

  • PCQ : 6%

Source : Directeur général des élections du Québec. Les pourcentages ont été arrondis.

Le premier ministre n’est pas venu faire campagne dans la circonscription avec son candidat Victor Pelletier, même pour une seule journée, alors qu’il était allé plus d’une fois à Marie-Victorin. Le printemps dernier. Comme le gouvernement lui-même semble peu intéressé par cette élection, il est difficile d’y voir un test, comme c’est souvent le cas lors d’une élection partielle. Bien qu’il ait remporté 90 sièges l’automne dernier à travers le Québec, le CAQ n’avait pas fait mieux qu’une troisième place à Saint-Henri–Sainte-Anne.


Interrogé au hasard, Patrick, qui avait précédemment voté pour le CAQn’ira pas aux urnes cette fois : Êtes-vous fou? Je n’ai pas le temps pour ça. C’est le libéral qui entrera, prédit-il. Dans un café branché de la rue Notre-Dame où il nous recommande d’aller, personne non plus n’a vraiment le cœur à parler du vote à venir. Ce n’est pas là que nous recueillerons plus de commentaires.

Dans la rue, une bénévole du Parti Québécois distribue de porte en porte des tracts pour la candidate Andréanne Fiola. La campagne se déroule bien, me dit-elle, même si la circonscription n’a pas historiquement basculé en faveur de son parti. Nous ciblons notre mondeelle explique.

Croisée plus tard, Ginette est justement inquiète du partage des voix. Paul St-Pierre Plamondon fait du très bon travail, donc par loyauté, il y a des gens qui vont voter PQ, mais le problème est la division du vote progressiste. S’il fallait que Québec solidaire ne l’ait pas, ce serait la démonstration qu’ils jouent dans les mêmes plates-bandes. En hausse dans les derniers sondages nationaux, c’est une belle occasion de voir si l’appui manifesté au Parti québécois se matérialisera dans les urnes.

Tous les partis le confirment : le résultat du scrutin dépendra essentiellement de la capacité de chaque parti à mobiliser son électorat. Chacun a ses défis à cet égard. Les électeurs non francophones, qui constituent une part importante de la base électorale de la PLQ, ont tendance à moins voter que le Québécois moyen. Il en va de même pour la jeune génération, sur qui Québec solidaire compte pour gagner.

Il y a cependant une différence majeure entre les deux partis : pour Québec solidaire, une victoire mettrait du baume sur des résultats en deçà des attentes à l’automne. Pour le Parti libéral, une défaite cristalliserait l’impression que rien ne va, après avoir obtenu le pire score de son histoire le 3 octobre dernier.


Note Les commentaires de certains électeurs ont été légèrement modifiés pour plus de clarté et de concision.


journalmetro

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