Toulouse : Capitole de la lutte contre la réforme

Toulouse (Haute-Garonne), envoyé spécial.
« Mettre la France à l’arrêt » : l’objectif avait été annoncé le 11 février par l’intersyndicale opposée à la réforme des retraites, avec une échéance au 7 mars. A Toulouse, comme partout en France, la semaine a été rythmée par des manifestations et des grèves , reconduit dans certaines entreprises, en attendant la nouvelle journée de mobilisation prévue samedi. Notre histoire.
Mardi 7 mars, 8h « Notre but est de faire un gros gâchis »
« Contre la réforme des retraites ! » Un paquet de tracts dans une main, un sachet de madeleines dans l’autre, Émilie s’adresse aux automobilistes arrêtés à un rond-point de Ramonville-Saint-Agne, commune limitrophe de Toulouse, avec ce slogan synthétique.
C’est ici que convergent chaque matin des milliers de travailleurs de l’industrie aéronautique et spatiale, qui fait la fierté de la préfecture de la Haute-Garonne. Ce mardi 7 mars, à l’occasion de la nouvelle journée de mobilisation annoncée par l’intersyndicale, la circulation est fortement ralentie depuis 7 heures du matin par les actions de remorquage des grévistes qui laissent passer les voitures au compte-gouttes.
« Nous avons manifesté cinq fois et il ne s’est pas passé grand-chose depuis. Nous n’avons pas le choix, nous devons passer à la vitesse supérieure si nous voulons être entendus. pose Emilie, salariée à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
Derrière elle, des centaines de véhicules forment une longue file d’attente. « Notre objectif est de faire un gros gâchis » clame Benoît, délégué CGT chez Airbus Defence & Space, qui fabrique des satellites. Une cinquantaine de personnes sont présentes, bientôt rejointes par une trentaine d’autres, revenant d’un rond-point qu’elles ont bloqué pendant deux heures.
Une équipe disparate autoproclamée » citoyen « , sans étiquette ni drapeau, où l’on croise « Gégé », 27 ans, qui avait participé aux manifestations des gilets jaunes en 2018 et 2019. « Dans les deux mouvements, on part d’une demande précise, mais au fond c’est tout le système qu’on veut remettre en cause », il respire.
Mardi 7 mars, 15h « Une journée exceptionnelle »
Frédéric est tout de noir vêtu, jusqu’au parapluie qui le protège de la pluie qui s’abat sur la gigantesque manifestation toulousaine contre la réforme des retraites. Le trentenaire employé dans la cybersécurité était déjà des jours précédents de mobilisation. « Nos dirigeants nous demandent de travailler deux ans de plus, mais ils n’ont jamais fait de travail physique de leur vie. Ils sont déconnectés de la réalité », il maudit.
Et de confier qu’il trouve « tout à fait justifié » la volonté exprimée par l’intersyndicale de « mettre la France à l’arrêt » à partir du 7 mars. Dossard CFTC sur les épaules, Patricia, intérimaire dans l’énergie, abonde, mais souligne que la grève reconductible « ce n’est pas possible pour tout le monde à cause de la fin de mois trop difficile ».
L’heure est à la détermination et à l’enthousiasme. En phase avec la dynamique nationale, la mobilisation toulousaine a atteint un niveau record : 120 000 manifestants selon l’intersyndicale (27 000 selon la police), la plus forte affluence depuis le début du mouvement. « C’est une journée exceptionnelle, malgré la pluie. Elle est dans tous les esprits depuis des semaines. »accueille Marie-Cécile Perillat, co-secrétaire générale de la FSU de Haute-Garonne, qui se réjouit également de « la mise en place pérenne d’une dynamique de grève ».
Mercredi 8 mars, 12h30 « Les jeunes peuvent faire la différence »
Le Mirail, collège rouge. Fidèle à sa réputation de bastion de la lutte sociale, l’université toulousaine, rebaptisée Jean-Jaurès en 2014, s’est colorée d’affiches et d’autocollants aux couleurs de la mobilisation contre la réforme des retraites. « Même si notre retraite arrive dans longtemps, nous y pensons. Nous voulons aussi exprimer notre ras-le-bol de ce que ce gouvernement propose aux jeunes, c’est-à-dire la précarité de A à Z », expose Louise, une étudiante anglaise de 23 ans, depuis « quartier de la lutte » établi par les manifestants, où ils préparent des pâtes à la sauce tomate servies à prix libre aux étudiants dans le besoin.
Devant le bâtiment Gai Savoir, occupé depuis quelques heures, des militantes terminent à peine une fresque violette représentant une manifestation féministe, qu’une assemblée générale débute avec une centaine de personnes. Beaucoup moins que lors des jours précédents, regrettent les intervenants, qui discutent des moyens de « massif » mouvement. Faire basculer la contestation dans une autre dimension ? Le président de l’Unef à Toulouse, Jessy Berger, espère : « Les jeunes ont une énorme capacité de mobilisation qui peut faire la différence. »
Mercredi 8 mars, 14h « Ne touchez ni à ma pension ni à mon cul ! »
« Est-ce que je proteste contre la réforme des retraites ou pour la journée internationale de la femme ? Les deux ! Je suis une femme et à cause de la réforme je vais devoir travailler jusqu’à 64 ans, et même 67 si je veux la retraite à taux plein. Ça me met en colère. » Infirmière de maternité, gréviste et syndicaliste à SUD, Carole participe à la marche féministe qui emprunte le même parcours que la manifestation de la veille – mais cette fois sous le soleil.
A 49 ans, elle s’est déjà résignée à « repartir avec une petite retraite », comme ses collègues aux carrières agitées, dont beaucoup dans un métier essentiellement féminin. « Quand t’es soignant, t’es cassé partout à 50 ans. Soulever des patients t’épuise ! » fait-elle remarquer.
Professeur de français dans un lycée de l’est toulousain, Marion, 45 ans, est là parce qu’elle « J’adore faire les manifestations du 8 mars », Pour « énergie folle » qui émerge. Attaquante la veille, elle veut un « convergence » avec des revendications féministes qui pourraient « pour insuffler une nouvelle vie » Au déménagement.
Elle aussi ne peut pas imaginer enseigner pendant encore vingt ans. « C’est un travail avec beaucoup de charge mentale. A 67 ans, j’ai peur d’être essoré », elle explique. Le joyeux brouhaha de la batterie et de la sonorisation recouvre sa voix.
Les slogans contre les violences faites aux femmes se succèdent, ciblant notamment le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, accusé de viol dans une affaire où la justice a prononcé un arrêté de non-lieu en 2022. retraite, ni à mon cul ! a écrit une étudiante au dos de sa veste. Comme une tentative de synthétiser les mots d’ordre du jour.
Jeudi 9 mars, 10h « La date de la fin du conflit, c’est quand Borne retire sa réforme »
Plusieurs centaines de véhicules bleus stationnent sur le parking de la plus grande agence Enedis de la métropole toulousaine, rue Marie-Laurencin. Les drapeaux cégétistes rouges annoncent la couleur : le site est occupé depuis la nuit de dimanche à lundi par des salariés déterminés à « reprendre son outil de travail » pour protester contre la réforme des retraites.
Plus aucun véhicule ne part, sauf pour les interventions d’urgence. « Tous les travaux de maintenance seront reportés aussi longtemps que nécessaire. Si ça dure, ça va créer un gâchis monstrueux », prévient Thomas Bozonnet, coordinateur régional de la fédération CGT mines-énergie. Les grévistes protestent contre l’extension à 64 ans de l’âge de la retraite, mais aussi contre la suppression du régime spécial des travailleurs des industries électriques et gazières.
Ces derniers jours, ils ont enregistré le ralliement des salariés de l’agence Enedis de Saint-Alban, occupée depuis la mi-février. Les salariés d’EDF, GRDF ou RTE participent également à la rotation qui permet au piquet de tenir sur le long terme.
Au total, ils sont quelque 200 grévistes ce jeudi matin pour l’assemblée générale organisée dans le hangar reconverti en espace de vie où sont entreposés les poids lourds. « Nous sommes en colère et le gouvernement ne nous entend pas. Alors on va monter d’un cran et on ne s’interdit rien. Nous résistons. » annonce à la tribune Majid Galla, secrétaire général CGT énergie Toulouse.
A l’unanimité, la reprise de la grève est votée, avec de nouvelles actions de « sobriété énergétique » (coupures de courant ciblées) pendant la journée. « Nous n’allons pas abandonner. La date de fin du conflit, pour nous, c’est quand Elisabeth Borne retire sa réforme, « promet Thomas Bozonnet.
L’éditeur d’un jour : « Les entreprises privées se mobilisent »
On entend trop souvent – encore – dire que les grévistes sont des privilégiés, des salariés du secteur public, avec un statut particulier. Ce n’est pas le cas. Il y a beaucoup de débrayages dans les loges privées. Il est important de le rappeler et le cas d’Airbus est emblématique. Airbus Toulouse est l’un des plus grands sites industriels de France. Les salariés s’y mobilisent régulièrement et, aujourd’hui encore, contre cette réforme des retraites. Le 19 janvier, un salarié sur huit du géant de l’aéronautique a défilé dans les rues de Toulouse, soit près de 2 500 personnes. C’est d’autant plus symbolique, d’ailleurs, que nous ne sommes pas là dans un fief de la CGT.
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