Six épisodes de tension exceptionnelle à l’Assemblée

6 juin 1936. L’antisémitisme surgit dans l’Hémicycle et vise Léon Blum, visé par l’extrême droite parce qu’il est juif
Un mois après la victoire du Front populaire, Léon Blum, devenu président du Conseil des ministres, déroule le programme de la coalition de gauche devant les députés au Palais Bourbon. Si la majorité applaudit le socialiste, la droite et l’extrême droite fulminent. Evoquant l’émeute fasciste du 6 février 1934, Xavier Vallat, représentant de la droite conservatrice, prend la parole et provoque une suspension de séance. A la reprise des débats, l’élu de la Fédération républicaine a laissé éclater sa haine antisémite envers Léon Blum : « Ce qui m’empêche de voter pour M. Léon Blum, c’est M. Léon Blum lui-même. . Pour la première fois, cet ancien pays gallo-romain qu’est la France sera gouverné par un Juif. La majorité se dresse alors contre l’orateur fasciste, avant que le président de la Chambre des députés, Édouard Herriot, ne lance un rappel à l’ordre contre lui. Mais celui qui sera plus tard nommé commissaire général aux questions juives sous Vichy persiste, arguant que « pour gouverner cette nation paysanne qu’est la France, il vaut mieux avoir quelqu’un dont les origines, aussi modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol que un talmudiste subtil ». Menacé de se voir retirer sa parole, il a fini par descendre de l’estrade sous les huées. « À la manière d’Hitler ! », titre L’Humanité le lendemain. Ces propos nauséabonds, tenus dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, témoignent de la montée de l’antisémitisme en France à cette époque, Léon Blum étant violemment agressé, et régulièrement insulté dans la presse d’extrême droite, notamment par les actions françaises.
21 avril 1967. Coup de poing entre Gaston Defferre et René Ribière
Qui se souvient que le dernier duel d’honneur de l’histoire de France eut lieu entre deux parlementaires ? Et en 1967… Ce jour-là, dans l’Hémicycle, le député socialiste Gaston Defferre crie à son homologue gaulliste René Ribière : « Tais-toi, idiot ! L’insulté a exigé des excuses qui ont été refusées. Il appelle alors à la « réparation par les armes », et le maire de Marseille accepte de relever ce défi un peu médiéval en plein XXe siècle… Les deux s’affrontent le lendemain à Neuilly-sur-Seine. Defferre refuse les sabres limés qui lui sont présentés, et prend rapidement le relais d’une Ribière qui devait se marier le lendemain. Le duel se termine par la deuxième effusion de sang. Le socialiste gagne, refuse de serrer la main de son adversaire… et réitère ses insultes.
26 novembre 1974. Le débat sur la loi Veil se transforme en musée des horreurs
« Sur le plan personnel, certains moments des débats parlementaires ont été difficiles », confiait modestement Simone Veil deux mois après l’examen du texte sur la dépénalisation de l’avortement. Pourtant, tout avait bien commencé : le rapporteur a prononcé depuis la tribune un discours vibrant, des mots qui résonnent encore aujourd’hui. Mais, parmi les 74 intervenants suivants, certains transformeront rapidement l’Hémicycle en Musée des Horreurs. A commencer par l’élu UDF Jean-Marie Daillet, qui demande à la ministre de la Santé, rescapée de la Shoah, si elle accepterait d’observer des embryons humains « jetés dans les crématoires ou de remplir les poubelles ». Dans le même registre, Hector Rolland (RPR) accuse Simone Veil de faire le « choix du génocide ». Pire, le député René Feït (UDF) se permet de diffuser, en plein débat, avec son collègue Emmanuel Hamel, les enregistrements des battements cardiaques d’un fœtus de 8 semaines. De quoi figer le public. « Le temps n’est pas loin où l’on connaîtra en France ces avortements, ces abattoirs où s’entassent les cadavres de petits hommes », ose aussi Jean Foyer (UDR), ancien ministre sous Charles de Gaulle. Mais la séance va connaître un paroxysme sordide lorsqu’un élu se présente avec « des fœtus dans un bocal avec du formol », se souvient Jean Veil, fils du ministre. Tous ces élus, dont le comportement dépasse largement les limites de l’indignité, ont pourtant siégé à droite sur les bancs du Palais Bourbon, comme leur ministre. L’intéressée n’hésitera pas à dénoncer en retour les analogies avec le nazisme dont elle a été victime.
2 décembre 1998. Les abjections de Christine Boutin sur le Pacs
En matière d’obstruction parlementaire, Christine Boutin sait comment s’y prendre. En prononçant l’un des plus longs discours depuis la tribune de l’Assemblée (5h30), le député apparenté UDF a tenté, jusqu’au bout, de s’opposer au pacte civil de solidarité (Pacs), avec les pires arguments. « Si on institutionnalise les relations sexuelles entre deux hommes, je ne vois vraiment pas au nom de quel ordre moral on ne l’autoriserait pas entre frères et sœurs », ose-t-elle. La séance tourne au vinaigre. « S’il y a des pédés ici, je vais les faire chier », lance le député UDF Michel Meylan. Les insultes fusent. Plus tard, le Premier ministre Lionel Jospin a dénoncé « l’obstination dans l’obstruction » de l’opposition sur ce texte. Avant de prendre directement à partie Christine Boutin, la jugeant « marginale sur ces questions » et « scandaleuse dans ses propos ». Une partie de la droite se rebelle, la gauche applaudit et le principal concerné s’effondre en larmes ; des larmes de « crocodile », confieront plus tard des élus du RPR. Christine Boutin entre alors dans la tourmente, descendant les marches d’un pas déterminé, pour en découdre avec le premier ministre. Bloquée par les huissiers et par plusieurs collègues, elle finira par quitter l’Hémicycle en vociférant. « Il faut arrêter le spectacle », conclut Alain Bocquet, président du groupe communiste.
5 septembre 2006. 137 500 amendements, la guérilla parlementaire à son paroxysme
La mise en scène est ficelée, Jean-Louis Debré, son chorégraphe, s’en est assuré. Au début du débat sur la privatisation partielle de Gaz de France permettant sa fusion avec le groupe Suez, le président de l’Assemblée a voulu marquer le coup. Celui-ci pose entouré d’une montagne de paperasse symbolisant les 137 500 amendements déposés au texte. « Un mur d’amendements, au sens propre, attend le gouvernement », titre Le Monde. Un record dans l’histoire de la Ve République. De quoi faire pâlir ceux qui ont été émus par les quelque 20 000 amendements déposés lors du débat sur l’actuelle réforme des retraites. Si le coup de communication heurte les esprits, Jean-Louis Debré avoue rapidement qu’il s’agissait d’une ruse : les piles de pages sont en réalité 27 500 feuilles de papier vierge, déballées pour l’occasion. Le tout pour dénoncer l’obstruction menée par l’opposition de gauche contre ce texte : le PS a déposé 43 693 amendements, et le PCF, 93 654, soit la quasi-totalité d’entre eux. Une véritable guérilla parlementaire s’engage alors contre un projet qu’ils jugent néfaste. Combien de temps aurait-il fallu pour arriver à la fin de l’étude du projet de loi? « Dix ans », s’est indigné Jean-Claude Lenoir (UMP), à l’époque rapporteur du texte. Les débats dureront finalement près d’un mois.
Janvier-avril 2013. Confrontation sur le mariage pour tous, pour le meilleur et pour le pire
Il y a dix ans, les tensions et même la violence physique de l’opposition à l’ouverture du mariage et à l’adoption par les couples de même sexe trouvaient un écho dans l’hémicycle. Si, devant le Sénat, la porte-parole de la Manif pour tous, Frigide Barjot, a lancé « Hollande veut du sang, il l’aura », à l’Assemblée nationale « les poings sont levés », affirme le socialiste Bernard Roman. Cette nuit du 18 au 19 avril, alors que l’examen du texte en deuxième lecture touche à sa fin, des députés UMP, agacés par un geste d’une collaboratrice de la garde des sceaux, Christiane Taubira (dont les discours lyriques auront aussi marqué la séquence), se précipitent sur les bancs du gouvernement. Une « descente avec menace physique », comme l’a décrit le président de l’Assemblée, Claude Bartolone (PS), qui nécessite l’intervention physique des huissiers et même du ministre chargé des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies. Ce dernier dira : « Je suis assis dans cet hémicycle depuis trente ans, je n’ai jamais vu ça. Le déchaînement homophobe observé dans les manifestations s’est aussi invité à l’Assemblée. L’élu UMP Philippe Cochet lance au ministre de la Justice : « Vous êtes en train d’assassiner les enfants ! Je n’ai pas peur de ce terme. C’est une réalité, c’est inacceptable. Christian Assaf (PS) lance à l’UMP que « le temps du triangle rose est révolu », en référence au symbole utilisé dans les camps nazis pour « marquer » les homosexuels. Des propos jugés « inacceptables » par la droite. Nicolas Dhuicq (UMP) parle, lui, de « régression monstrueuse de la civilisation », tandis que les députés de droite et de gauche lancent des « menteurs », « hystériques », « vous êtes indignes », tout au long de séances, régulièrement interrompues.
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