Retraites en France : le président Macron a fait un pari, mais à quel prix ?

Pour Denis, qui travaille à la gare, nul doute que la décision du gouvernement d’imposer son projet de loi a ravivé la ferveur des opposants à la réforme des retraites.
On a vu l’embrasement généralisé, même dans les plus petites communes
nous raconte-t-il, en référence aux manifestations initialement pacifiques à travers le pays jeudi soir, qui ont aussi donné lieu à des débordements dans certaines villes de France, dont Paris et Lyon.
Comme d’autres dans le monde syndical, Denis avait remarqué un essoufflement lors de la dernière grande journée de mobilisation mercredi. Selon la CGT, un syndicat, 1,7 million de personnes avaient défilé dans les rues du pays, contre 3,5 millions la semaine précédente.
Selon Denis, les derniers développements politiques contribueront à donner un nouveau souffle à la contestation.
» Il est certain que le sentiment de révolte a ravivé les braises du mouvement. »
Si les multiples sondages d’opinion publiés depuis la présentation de la réforme des retraites en janvier montrent qu’une large majorité de Français s’opposent au projet, la technique utilisée par le gouvernement suscite encore plus de désapprobation.
Selon un sondage Harris réalisé pour le compte de la radio RTL, 82% des Français estiment que l’utilisation du 49.3, l’article de la Constitution qui permet au gouvernement d’éviter le vote des députés, est une mauvaise chose.
J’espère qu’il [le gouvernement] n’attendez pas les débordements pour nous écouter
nous racontait mercredi dernier un manifestant rencontré en Ardèche, qui craignait les conséquences potentielles d’une imposition de la réforme.
Les scènes de débordement observées jeudi soir dans certaines villes comme Paris contrastaient avec l’ambiance bon enfant très majoritairement observée dans les rassemblements qui ont été organisés ces dernières semaines.
Malgré les appels au calme de certains dirigeants syndicaux, c’est peut-être dans un tout autre état d’esprit que les gens répondront à l’appel à manifester lancé pour jeudi prochain.
Le gouvernement risque-t-il de tomber ?
Il n’y a pas que dans les rues que l’ambiance est tendue ; c’est aussi à l’Assemblée nationale. C’est sous les huées et les chants que la Première ministre a annoncé jeudi la décision prise par son gouvernement.
A la tribune, le chef du gouvernement était bien conscient des risques liés à l’utilisation de l’article 49.3. La Constitution prévoit ainsi qu’une fois la procédure lancée, le projet de loi est réputé adopté sans l’approbation des députés, sauf si le gouvernement perd une motion de confiance. Dans ce cas, la législation est retirée et le gouvernement est renversé.
Déjà, un groupe d’opposition a annoncé avoir déposé une motion de censure, qui devrait être examinée lundi.
Il est cependant loin d’être certain que l’opposition rassemblera une majorité de députés autour de cette procédure, puisque le parti de droite Les Républicains a déjà annoncé qu’il n’entendait pas soutenir cette démarche.
Mais nous ne sommes pas à l’abri des surprises, puisque les dernières semaines ont montré que chez les républicains, tout le monde ne parle pas d’une seule voix. Ce parti politique était après tout favorable à la réforme des retraites, mais certains de ses membres devaient s’y opposer à l’Assemblée.
C’est cette incertitude, entre autres, ajoutée aux dissensions au sein des troupes présidentielles, qui a poussé le président Macron à privilégier l’imposition du projet de loi plutôt que de risquer un vote qu’il aurait pu perdre.
Mais en prenant cette décision sur un projet aussi controversé, le gouvernement, dont les troupes sont minoritaires à l’Assemblée, s’est exposé à d’autres risques, par exemple celui de ne plus pouvoir négocier avec l’opposition sur d’autres projets de loi importants. La question de la crédibilité du premier ministre et de son gouvernement se pose également.
C’est sans compter les rumeurs qui circulent sur la possible tenue d’élections législatives anticipées. Le président Macron lui-même avait d’ailleurs menacé de la déclencher si son projet de réforme était rejeté par l’Assemblée nationale.
Poussin
a déclaré cette semaine la chef de file du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui assure qu’elle ne craint pas la tenue d’une élection.
Selon un récent sondage Harris, le parti d’extrême droite, qui s’oppose à la réforme tout en restant à l’écart des manifestations, pourrait bien bénéficier d’une nouvelle campagne législative.
En effet, selon ce sondage, de tous les grands partis représentés à l’Assemblée, le Rassemblement national est celui qui ferait le plus de gains par rapport aux dernières élections législatives, même si ces progrès seraient limités.
Si pour l’instant c’est à travers les grèves et les manifestations que se mesurent les frustrations face à l’attitude du gouvernement, à moyen terme, cette colère pourrait s’imposer dans les urnes.
journalmetro