Quand la France ne brille plus au Burkina Faso ni avec sa diaspora


Les militaires qui ont pris le pouvoir lors d’un coup d’État en septembre dernier, le deuxième en huit mois au Burkina Faso, ont demandé aux 400 militaires français impliqués dans la lutte contre les jihadistes, la force Sabre, de quitter le pays.

Un départ accueilli avec indifférence par les membres de la diaspora burkinabé au Canada, comme Cheick Oumar Koné, étudiant au doctorat à l’Université Laval en cinéma depuis l’an dernier.

Si les autorités estiment que le départ de la France peut résoudre quelque chose dans cette crise sécuritaire, c’est pour moi le bienvenu. Ce qui m’inquiète, c’est bien plus la situation sécuritaire. La méthode, eh bien, je m’en fousil a dit.

Cheick Oumar Kone, membre de la diaspora burkinabé au Canada et étudiant au doctorat à l’Université Laval en cinéma.

Photo: courtoisie

Cette décision des autorités ne fait pas non plus sourciller Adama Dao, au Canada depuis 10 ans et citoyen canadien. Ça me fait rire quand on lie le départ de France à l’insécurité. La crise est allée crescendo, même si la France était làil se lamente.

» Moi, je suis un peu indifférent à la France, qu’elle parte ou pas, la situation s’est aggravée en sa présence ! »

Une citation de Adama Dao, membre de la diaspora burkinabé au Canada

Il reproche, entre autres, à la France de ne pas avoir empêché la montée des djihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique, qui contrôlent aujourd’hui 40 % du pays.

Séduction russe

Même si le président français Emmanuel Macron appelle à construire une nouvelle relation équilibrée, réciproque et responsable avec l’Afrique, des pays comme le Burkina Faso, et le Mali avant lui, lui tournent le dos et cherchent d’autres partenaires. Entrez en Russie ici.

Dans les rues de la capitale Ouagadougou, depuis plusieurs mois, drapeaux et discours pro-russes se sont ajoutés aux slogans en faveur du départ de la France. Le régime burkinabé, pour sa part, ne cache pas sa volonté de se rapprocher de Moscou. Le Premier ministre du Burkina Faso, Apollinaire Kyélem de Tambèla, s’est d’ailleurs rendu au pays de Vladimir Poutine en décembre dernier.

» Nous voudrions que la Russie prenne la place qui lui revient, en tant que grande nation, dans mon pays, car il y a une histoire et une expérience de la Russie et nous voudrions qu’elle la partage avec nous. »

Une citation de Le Premier ministre Apollinaire Kyélem de Tambèla dans une interview accordée à Russia Today, une chaîne de télévision proche du Kremlin
Les gens sur une voiture militaire.

Le drapeau russe est agité lors d’une manifestation de soutien à la nouvelle junte au pouvoir.

Photo : Getty Images/AFP

Pour les Burkinabé vivant au Canada, le rapprochement avec la Russie reçoit un accueil mitigé. Cheick Oumar Kone appelle à la prudence : Chaque fois que les Français ont échoué, les Russes essaient d’utiliser cette arme contre eux. Est-ce inquiétant ? Oui […] C’est une question de souveraineté. Vous ne devriez pas changer Pierre pour Paul. Il faut vraiment être vigilant !

Même son de cloche d’Adama Dao, qui défend toujours le choix des autorités. Quand quelqu’un est dans une position où il essaie vraiment de défendre son territoire et qu’il essaie de rassurer sa population, eh bien, il prendra tout ce qui lui tombe sous la main ! Je crois que c’est la France qui a jeté le Burkina dans les bras de la Russie aujourd’hui !

L’étudiant au baccalauréat en administration et président de l’Association des Burkinabés vivant au Québec, Kienou Pahassi Silvère, se dit conscient que la présence russe fait davantage réagir à cause de la guerre en Ukraine, mais il n’est pas contre. Il existe depuis très longtemps des liens entre plusieurs pays africains et la Russie. Pour moi, si les autorités pensent que c’est la meilleure décision à prendre, on ne peut que les suivreil a dit.

La Russie se présente comme une puissance non impérialiste pour aider les États sahéliens à combattre la menace jihadiste sans avoir la volonté de s’imposer, mais cela reste de la rhétoriqueprévient le directeur de l’Observatoire Eurasie, Jean Lévesque.

Il ajoute que c’est le groupe Wagner qui obtient les contrats de sécurité, cette société privée russe qui utilise des mercenaires pour combattre dans les pays en crise.

» Les opérations sur place sont clairement menées par le groupe Wagner, plutôt que par l’armée russe. Il prendra le contrôle de certaines ressources naturelles en échange de contrats de sécurité. Il ne fait pas ça pour rien ! »

Une citation de Jean Lévesque, directeur de l’Observatoire Eurasie
L'historien et directeur de l'Observatoire Eurasie, Jean Lévesque.

L’historien et directeur de l’Observatoire Eurasie, Jean Lévesque.

Photo: courtoisie

La Russie et le Burkina Faso nient toute présence de Wagner dans le pays. La présence de ces mercenaires n’a pas été clairement documentée dans le pays, mais elle l’a été au Mali voisin.

Mais même là, dit l’historien Jean Lévesque, il ne faut pas croire qu’on assiste à une russification de l’Afrique, car la Chine et d’autres pays sont déjà bien présents sur le continent africain.

» De manière réaliste, les Chinois ont 10 à 15 ans d’avance sur la Russie en termes de localisation économique. On parle de 5 milliards d’échanges contre 120 pour la Chine. Elle arrive en retard et il y a une grosse compétition en Afrique, les Turcs sont là et les Indiens aussi. »

Une citation de Le directeur de l’Observatoire Eurasie, Jean Lévesque

La Russie, à travers Wagner, peut encore rivaliser avec d’autres pays dans le domaine de la sécurité ainsi que dans celui de la propagande, ajoute Jean Lévesque.

La révolte des jeunes

La doctorante en communication de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), d’origine ivoirienne, Denise Kako, juge l’utilisation du terme inappropriée anti-français Ou rejet de la France pour parler de la situation qui se déroule en Afrique de l’Ouest. Selon elle, au Mali et au Burkina Faso, on assiste plutôt à une résistance. La jeunesse africaine mène une lutte de libération contre le néocolonialisme en généralelle dit.

» Il y a une révolte dont la jeune génération aujourd’hui a pris le relais. Une révolte contre des pratiques et un système qui a trop longtemps asservi l’Afrique et les Africains. »

Une citation de L’étudiante au doctorat en communication à l’Université du Québec à Montréal, Denise Kako
L'étudiante au doctorat en communication à l'Université du Québec à Montréal d'origine ivoirienne, Denise Kako.

L’étudiante au doctorat en communication à l’Université du Québec à Montréal d’origine ivoirienne, Denise Kako.

Photo: courtoisie

Elle critique ce qu’on appelle aide à l’afriquetrop souvent utilisé, selon elle, par les occidentaux. Aide humanitaire, aide au développement, aide, aide, aide ! Nous avons tellement entendu cela. Quels pays aidons-nous vraiment ? Ils sont surtout incités à retourner dans ce qu’on appelle les PPTE, petits pays très endettés !

Cette révolte des jeunes, Kienou Pahassi Silvère la note aussi et, selon lui, le capitaine Ibrahim Traoré, qui dirige le pays depuis le coup d’État et à peine âgé de 35 ans, en est l’un des meilleurs porte-parole. .

C’est une jeunesse qui se réveille, qui prend les choses en main et en ce qui concerne les dirigeants, il y a de l’enthousiasme, du dévouement et je crois que si ça continue comme ça, on aura de meilleurs résultats.

Massacres et droits de l’homme

Depuis le début de l’année, le pays connaît une intensification des violences djihadistes. Le 26 février, une soixantaine de personnes ont été tuées dans une attaque présumée djihadiste à Partiaga, dans l’est du Burkina Faso, et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

La situation des droits de l’homme au Burkina Faso préoccupe lesONG Human Rights Watch.

Dans son dernier rapport, l’organisation dénonce surtout les attaques de groupes islamistes armés contre des civils qui se sont intensifiées, mais aussi celles commises par les forces militaires et leurs milices lors d’opérations de lutte contre le terrorisme.

» C’est une situation très complexe où les forces militaires combattent ce qu’elles appellent un ennemi qui n’a pas de visage, mais il y a une tendance à cibler certaines communautés, notamment les Peuls, qui sont considérés comme des suspects, alors qu’ils sont des civils innocents. »

Une citation de Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe Afrique de Human Rights Watch.
Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe Afrique de Human Rights Watch.

Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe Afrique de Human Rights Watch.

Photo: courtoisie

Le danger est que les groupes djihadistes utilisent les abus de la police pour recruterdéclare le directeur adjoint de la division Afrique pour Human Rights WatchCarine Kaneza Nantulya.

L’organisation s’inquiète également du rétrécissement de l’espace civique et du droit à l’information. La rhétorique gouvernementale s’est durcie et les membres de la société civile et les journalistes se retrouvent harcelés, pointés du doigt par le gouvernementelle dit.

Un autre membre de la diaspora burkinabé interviewé, Kariyon Somé, qui est au Canada depuis 20 ans, a vivement réagi au sujet des droits humains. Comment parler des droits de l’homme alors que le pays est aux mains des djihadistes ? il se demande.

Les droits de l’homme, les gens en parlent parce qu’ils sont loin ! Les approches de l’État islamique permettent-elles d’arrêter quelqu’un ? Peut-on vraiment s’arrêter et les juger ? J’ai l’impression que c’est deux poids deux mesures. Mon frère est dans l’armée, parle-t-on des droits de l’homme quand il est agressé ? Quand les soldats sont aussi attaqués ? Ce sont aussi des humains ! conclut-il.

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