Promesses de François : le pape a-t-il écouté les victimes ?


La bataille de Juan Carlos

J’ai rencontré Juan Carlos Cruz à Rome. J’étais là pour un reportage. Lui, voir un ami qu’il aime profondément.

Quand j’ai demandé à Juan Carlos de me raconter son histoire, il n’a pas hésité une seconde. Il a l’habitude. Après tout, c’est son histoire qui conduira à la bataille du Chili et à la démission massive de tous les évêques chiliens.

J’avais 15 ans quand j’ai perdu mon père. Alors on m’a dit « va voir ce prêtre, c’est un saint homme ». Alors j’y suis allé.

Le père Fernando Karadima avait en effet toute une réputation ! Il connaissait tout le monde dans la haute société chilienne.

» Peu de temps après, les agressions ont commencé… Bien sûr, c’était horrible. »

Une citation de Juan Carlos Cruz

Le Chilien Juan Carlos Cruz est victime du père Fernando Karadima.

Photo : Reuters/ALESSANDRO BIANCHI

Pour ajouter à l’horreur, alors que Juan Carlos ou ses amis étaient attaqués, un autre prêtre, en retrait, observait la scène en silence.

Mgr Barros est évêque aujourd’hui. À l’époque, il n’était qu’un jeune prêtre. Et il a vu les agressions. Il regardait, il était là. Il s’est éloigné lorsque nous avons été attaqués.

L’histoire de Juan Carlos peut sembler incroyable, mais pas tant que ça, après tout, quand on écoute les nombreux témoignages de victimes de criminels en soutane.

En France, seul l’abbé Bernard Preynat aurait commis des centaines d’agressions en vingt ans. Parmi les victimes, François Devaux.

L’Église fait exactement le contraire de ce pour quoi elle a été créée. La pédophilie et la dissimulation des crimes dans l’Église tuent l’esprit des petits garçons.

François Devaux en entretien.

François Devaux a créé l’association La parole libérée, à l’initiative des victimes d’un aumônier scout du diocèse de Lyon, en France, Bernard Preynat.

Photo : Radio-Canada / Alain Crevier

François Devaux avait 10 ans à l’époque. Dès les premiers contacts sexuels, il en a parlé à ses parents, qui l’ont cru. Ce n’est vraiment pas le cas de toutes les victimes, qui gardent le secret de leurs attaques enfoui en elles pendant des décennies.

Juan Carlos a gardé son lourd secret pendant plus de trente ans, horrifié par ses souvenirs. Jamais, me dit-il, je n’aurais imaginé pouvoir en parler.

Eh bien, c’est ce qui a changé.

Aujourd’hui, si l’on connaît le modus operandi des criminels en soutane, c’est parce que, partout, les victimes se sont mises à parler. A Lyon, par exemple, François Devaux a cofondé une association de victimes du père Preynat, La parole libérée.

» Je commence cette guerre par conviction, par spiritualité. Il faut respecter la vie. L’Église n’est pas une institution respectable, c’est une entreprise de corruption spirituelle qui a fait l’extrême contraire de ce qui est écrit dans l’Évangile. »

Une citation de François Devaux

Le pape fait un faux pas, la colère des victimes éclate

En janvier 2018, lorsque le pape François arriva au Chili pour ce qui devait être un autre beau voyage apostolique, il ne devait pas se douter que Juan Carlos, François Devaux et bien d’autres victimes de partout l’attendaient. Ensemble, à Santiago, ils viennent de créer une première association internationale pour dénoncer l’hypocrisie de l’Église.

Des manifestants avec des banderoles.

Des manifestants et des victimes de prêtres catholiques attendaient le pape François à son arrivée à Santiago, au Chili, en 2018.

Photo : Reuters/CARLOS VERA

A Santiago, le pape apparaît en public avec l’évêque Barros, celui qui aurait vu Juan Carlos se faire attaquer. C’est trop! La colère des victimes éclate.

Juan Carlos interpelle le pape et dénonce la présence de Barros à ses côtés. Le pape devient cinglant et lui répond publiquement que c’est de la calomnie, qu’il n’y a aucune preuve de ce qu’avancent Juan Carlos et les autres victimes.

Aujourd’hui encore, quand j’en parle à Juan Carlos, je sens la moutarde monter dans son nez.

C’était douloureux. Devant le monde entier, voir le pape dire que je mentais !? Et je l’ai vu en direct. C’était insupportable.

L’affaire vire à la crise majeure. Autant pour l’Église chilienne que pour ce pape sur le point de perdre sa crédibilité lorsqu’il parle des laissés-pour-compte.

Mgr Barros regardant la caméra.

Mgr Barros était présent lors de la messe du pape François à Iquique, au Chili, en janvier 2018.

Photo : Reuters/ALESSANDRO BIANCHI

Au Chili, les évêques ont dit que je ne pouvais pas être catholique puisque je suis l’ennemi de l’Église ! J’ai pensé : « Je ne vais pas abandonner. Je ne vais pas laisser cette bande de criminels dire que je suis indigne !

Et il s’est passé ce que le pape François ne pouvait pas imaginer. Pas même Juan Carlos !

Les citadins se sont mis en colère. C’était une révolution. Ils m’ont soutenu, ainsi que les autres survivants. C’était impressionnant!

Le courage d’admettre ses erreurs

On ne sait pas vraiment si ce sont les larmes ou la colère de Juan Carlos qui ont convaincu François, mais il a ordonné qu’une enquête soit menée. Par précaution, il nomme un confident du Vatican. Le rapport est accablant pour l’Église… et pour lui-même. Comment pouvait-il douter de Juan Carlos et des victimes ? Lui qui, dès son élection, avait promis de combattre ce fléau des criminels en soutane.

Parfois, en politique, des hommes et des femmes publics se coincent les pieds dans les fleurs du tapis. Parfois même, des gouvernements tombent, des présidents démissionnent, des régimes sont renversés. Jamais l’Église catholique.

Lors de la bataille du Chili, François a failli tomber. Ce qui l’a peut-être sauvé, m’a dit Marco Politi, l’un des plus grands analystes du Vatican, c’est le courage de se critiquer.

Et c’est une grande différence avec les autres papes. Il avait obtenu de fausses informations sur la situation au Chili. Mais après, il a eu le courage d’admettre publiquement ses erreurs.

Pour Juan Carlos qui a été publiquement humilié par le pape, cette victoire est jubilatoire.

Personne ne s’attendait à ce que le pape dise : « J’ai fait une grosse erreur et je m’excuse auprès de Juan Carlos et des autres ». Ensuite, il a convoqué tous les évêques du Chili au Vatican, exigeant leur démission. Nous n’avions jamais vu cela. C’était super!

En France, François Devaux et les victimes du Père Preynat livrent également un combat colossal. L’abbé Preynat est aujourd’hui en prison. Le cardinal Barbarin s’est retrouvé devant le tribunal et a dû remettre sa démission au pape François. Dans la foulée, les victimes ont forcé la mise en place d’une commission indépendante qui a conclu que, contrairement à ce que l’Église de France a toujours soutenu, plus de 216 000 victimes ont été agressées au fil des ans en France. par des prêtres pédophiles.

L'abbé Bernard Preynat au palais de justice de Lyon, France, lors de son procès.

Le père Bernard Preynat est aujourd’hui en prison pour agression sexuelle.

Photo : Getty Images / AFP/PHILIPPE DESMAZES

Cette bataille de Lyon était David contre Goliath. La victoire des victimes est immense. Les colonnes de leur temple paroissial ont tremblé jusqu’au Vatican ! Et pourtant, dans la campagne lyonnaise où j’ai rencontré François Devaux, j’ai ressenti une profonde colère que rien ne peut éteindre.

On ne pourra pas réformer l’Église catholique parce qu’elle s’est octroyée des pouvoirs auxquels elle ne renoncera pas, estime François Devaux. Mais qui peut réguler la sexualité et, en même temps, déplacer les pédophiles qui ont détruit des vies ?

C’était une belle journée de novembre à Rome. J’étais là pour rapporter. J’ai salué Juan Carlos une dernière fois. Il avait rendez-vous avec son ami qu’il aime tant : le pape François. Comme tous les deux mois.

» Je blâme l’entourage du pape qui lui ment en face. Tous ces cardinaux et évêques hypocrites qui se protègent, qui protègent leurs biens. Donc je ne me tairai jamais. »

Une citation de Juan Carlos Cruz

Le pape François avait bien l’intention de mettre un terme à ce fléau des prêtres criminels. Il avait la mission. Il avait fait la promesse. Mais il y a ces fléaux que les nobles intentions ne peuvent endiguer.

Pour en savoir plus sur les 10 ans du Pape François, ne manquez pas le documentaire Les promesses de Françoisdiffusé le samedi 11 mars sur RDI à 18h30, puis en rediffusion le dimanche 12 mars à 21h30


journalmetro

Back to top button