Pour en finir avec les rites, les lois ou l’éducation dégradantes ?


Si des rites avilissants d’initiation au monde hyper compétitif du hockey junior majeur ont récemment scandalisé le public, ils ne se limitent pas à ce sport, ni même au sport : ils se déroulent aussi dans les universités, dans les fraternités et les sororités, tout comme dans l’armée. pour les générations. Des dérapages existent toujours, et le débat pour trouver le meilleur moyen de mettre un terme à ces initiations traumatisantes revient au rythme des cas qui se font jour.

Dans des écrits datant du Moyen Âge, on trouve déjà des références à des rites d’initiation se déroulant au sein des universités.

Par la suite, de modestes tentatives pour les réguler suggèrent que des dérives avaient alors choqué les autorités. Une loi de 1495 émise par l’Université de Leipzig, en Allemagne, interdisait aux étudiants « de tourmenter, de harceler […] crier d’une voix terrifiante et abuser physiquement… » leurs camarades de première année.

Il y a 150 ans, le phénomène était déjà décrit comme un fléau sur notre continent. Une édition de 1873 du New York Times titré, « West Point: Bizutage à l’Académie, un mal qui devrait être entièrement éradiqué. »

Si les initiations comportent des rituels anodins voire ludiques, elles comptent aussi dans leur triste tableau des amputations, des morts cérébrales, des traumatismes psychologiques et même des morts, un peu partout dans le monde.

Au Québec, on se souvient qu’en 2005, les yeux – horrifiés – s’étaient tournés vers l’équipe de football de l’Université McGill. Une recrue de 18 ans, D’Arcy McKeown, a déclaré avoir été sodomisée avec un balai lors d’un rituel d’initiation appelé « Dr. Broom ».

Peu de temps après, l’establishment montréalais avait énoncé des directives claires sur les actes qui ne sont pas tolérés dans le cadre des initiations. Par exemple : simulation d’actes sexuels, flagellation et privation de sommeil, parmi tant d’autres.

Malgré ces efforts, un autre cas a secoué la prestigieuse université en 2015 – qui n’est cependant pas la seule au Québec à avoir vu les initiations dégénérer. Cette fois, l’équipe de basket était impliquée. Un étudiant a rapporté qu’il avait été poussé de force sur la tête avec une taie d’oreiller et dépouillé de ses vêtements à l’exception de son slip. Ensuite, une bouteille d’alcool de 40 onces a été collée à sa bouche avec du ruban adhésif solide et on lui a ordonné de se livrer à des jeux sexuels avec des étudiantes partiellement déshabillées.

La loi à la rescousse ?

Aux États-Unis, 44 des 50 États ont adopté des lois pour interdire d’une manière ou d’une autre les initiations, rapporte l’organisation américaine StopHazing. La France a aussi légiféré : le « bizutage », comme l’appellent les Français, est devenu en 1998 un délit passible de six mois d’emprisonnement et d’une lourde amende.

Au Québec, aucune loi ne cible spécifiquement les rituels d’initiation.

Or, ce n’est pas nécessaire, selon le professeur de droit criminel à l’Université de Sherbrooke Simon Roy. « Le Code criminel a déjà tout ce qu’il faut », dit-il sans hésitation.

Une pénétration avec un bâton, « c’est clairement une agression sexuelle », explique-t-il, précisant que « l’agresseur n’a pas besoin d’avoir un mobile sexuel » pour être reconnu coupable de ce délit.

Aux prévenus qui pourraient dire que « ce n’est qu’un jeu, juste pour s’amuser », le professeur rétorque, d’un ton acerbe, que « ce n’est pas une défense. Il n’y a pas de blague quand il s’agit d’agression sexuelle ».

Forcer de jeunes sportifs à suffoquer pendant des heures dans des toilettes surchauffées ? « C’est de la séquestration », poursuit l’enseignant.

Quant aux autres gestes qui auraient été posés par d’anciens joueurs de la Ligue de hockey junior majeur, comme uriner sur un jeune athlète ou le frapper, « ce sont des agressions », dit-il. « Et cela inclut ceux qui ont aidé ou encouragé » des personnes à commettre ces actes, y compris en retenant le jeune qui était initié. Ils peuvent être condamnés pour la même infraction que celui qui frappe, précise le professeur Roy.

En vidéo | Initiations « homoérotiques » dans le monde hypermasculin du hockey

Ce dernier rappelle également qu’il n’y a pas de délai pour porter plainte au pénal. Bref, si un jeune a été agressé lors d’une initiation il y a 20 ans, il peut porter plainte demain au commissariat.

Mais alors, pourquoi voit-on si peu de cas devant les juridictions pénales ? Pour qu’il y ait des condamnations, les jeunes doivent dénoncer les agresseurs, et c’est là que réside le problème, selon le professeur : il peut être intenable pour un jeune de dénoncer une équipe dans laquelle il veut s’intégrer. intégrer et dont dépend son avenir sportif.

Effacer les zones grises

Professeur et chercheur à la Faculté de kinésiologie et de gestion des loisirs de l’Université du Manitoba, Jay Johnson estime qu’il pourrait être utile d’avoir une loi spécifique qui énumère les actes illégaux : les responsables sportifs et les universités bénéficieraient ainsi de balises claires. Car il y a des « zones grises », dit l’auteur du livre Faire équipe : dans le monde des initiations sportives et du bizutage, soulignant que même les athlètes rencontrés au cours de ses recherches ne comprenaient pas qu’ils avaient subi des agressions.

D’ailleurs, les rituels sont souvent « normalisés » par ce fait très simple : ceux qui y soumettent les autres en ont eux-mêmes déjà fait l’expérience par le passé, explique le professeur. Et certains n’y voient aucun problème.

« L’un des obstacles est une culture qui veut préserver son droit à faire de telles initiations. Il y a ce sentiment de faire partie d’une tradition. Et il est toujours plus difficile que vous ne le pensez de changer une culture. »

Au Québec, une initiation sexuelle dénoncée par des étudiants en droit de l’Université de Montréal en 2016 a conduit le gouvernement à caresser l’idée d’interdire purement et simplement les initiations. Au bout du compte, il a plutôt choisi d’imposer aux établissements postsecondaires l’adoption d’une politique de prévention des violences à caractère sexuel. En 2020, le gouvernement Legault a créé un poste d’officier indépendant pour traiter les plaintes des athlètes liées aux agressions et au harcèlement dans le sport.

Le professeur Johnson, qui a mené la première étude pancanadienne sur les initiations, reconnaît les efforts déployés depuis la publication de son livre en 2004 et note qu’il y a eu des avancées. Mais pas au point d’éradiquer le problème.

Les universités et les associations sportives ne font pas assez pour se débarrasser des initiations dégradantes et violentes, dit-il. Selon lui, il faut notamment miser sur des programmes d’éducation destinés aux étudiants et aux recrues sportives, sur des forums où ils pourraient discuter des activités d’intégration avec les entraîneurs et sur des sanctions clairement définies.

Après avoir étudié le phénomène pendant des années, le professeur reste convaincu que les rites de passage sont importants : différentes activités, sans actes humiliants, devraient donc être proposées aux jeunes en leur accordant les ressources nécessaires pour les mener à bien.

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