Pas de blâme pour le gouvernement Trudeau dans le rapport Rouleau

Le juge Paul Rouleau approuve explicitement l’invocation par le gouvernement fédéral des mesures d’urgence pour mettre fin au Convoi de la liberté l’hiver dernier, un événement qualifié de « crise nationale » qui a démontré un « échec du fédéralisme ».
« La décision d’invoquer la loi était appropriée », a déclaré le juge franco-ontarien Paul Rouleau dans un rapport tant attendu déposé au Parlement vendredi.
Selon lui, « le seuil très élevé pour invoquer la loi a été atteint », même s’il arrive à cette conclusion « à contrecœur ». C’était la première fois que la loi sur les mesures d’urgence faisait l’objet d’un tel examen obligatoire, car la loi n’avait jamais été utilisée en près de 35 ans d’existence.
Les mesures d’urgence ont été imposées neuf jours après le 14 février 2022 et ont donné aux forces de l’ordre des pouvoirs supplémentaires, tels que le gel des comptes bancaires des manifestants et la réquisition de lourdes dépanneuses. Un an plus tard, le juge Rouleau concluait que l’invocation de la loi avait surtout un effet dissuasif, en décourageant les manifestants de poursuivre l’occupation d’Ottawa.
Le droit de manifester pacifiquement garanti par la Constitution a des limites, peut-on lire. « Je n’accepte pas les descriptions faites par les organisateurs selon lesquelles les manifestations à Ottawa étaient légales, calmes et pacifiques ou ressemblaient à une célébration. [Dès le premier lundi], le rassemblement n’était plus pacifique étant donné l’intimidation généralisée des résidents et le fait que leur capacité de vivre et de travailler avait été fondamentalement perturbée », a écrit le juge Rouleau. La situation « dangereuse et chaotique » échappait au contrôle des organisateurs.
Le gel des comptes bancaires était une mesure raisonnable, juge-t-il, et la possibilité de réquisitionner les dépanneuses était une mesure efficace, mais surtout pour permettre à la police ontarienne de refiler la facture à Ottawa.
D’accord avec Justin Trudeau
Les autorités policières ont été confrontées l’an dernier à une situation qui « a dégénéré et risquait de devenir dangereuse et ingérable », après une occupation de trois semaines de la capitale canadienne par ce vaste mouvement de contestation opposé aux mesures sanitaires, auquel se sont joints de nombreux Québécois dès le 29 janvier. , 2022.
Le commissaire accrédite ainsi le principal argument du premier ministre Justin Trudeau lors de son témoignage en novembre, selon laquelle la situation devenait de plus en plus explosive au moment du recours aux mesures d’urgence. La crise avait alors atteint des proportions nationales, comme en témoignent les nombreuses manifestations de soutien organisées dans d’autres provinces au cours du mois de février.
« Il est regrettable qu’une telle situation se soit produite, car à mon avis, elle aurait pu être évitée. […] Les manifestations légales ont sombré dans l’illégalité, au point de provoquer une situation de crise nationale », peut-on lire dans l’imposant document de plus de 2 300 pages réparties en cinq volumes.
Le commissaire Rouleau estime que ce dérapage est la conséquence d’une « incapacité à prévoir un tel moment et à bien gérer des manifestations légitimes ». Il estime qu’une meilleure collaboration entre les paliers de gouvernement aurait permis d’éviter le chaos, notamment en parlant aux manifestants. Un expert qui a qualifié l’affaire d’« échec du fédéralisme » a eu les mots justes, écrit le juge franco-ontarien.
Celle-ci recommande notamment d’améliorer la coopération entre les corps policiers et d’élargir la définition de menace à la sécurité nationale dans la Loi sur les mesures d’urgence pour rompre avec la description étroite de la Loi sur le renseignement de sécurité (SCRS). Le commissaire regrette que le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, ait refusé de témoigner durant l’enquête, rien de plus.
Des propos de Justin Trudeau au sujet de la «petite minorité marginale» pourraient toutefois enflammer le débat, souligne-t-on. En conférence de presse vendredi, le principal intéressé a reconnu regretter ce choix de mots. « Je regrette que mes propos sur ces personnes [qui publient de la désinformation] aurait pu être décrit comme une attaque contre [ceux] qui voulaient exercer leur liberté de parole et d’expression. Ce n’était pas mon intention. J’aurais pu et dû choisir mes mots différemment. »
De passage à Calgary, le chef du Parti conservateur du Canada, très opposé au recours aux mesures d’urgence, a de nouveau critiqué la politique de « diviser pour mieux régner » des libéraux pendant la pandémie. « Au lieu de les stigmatiser, il faut unir les gens. C’est ainsi que le premier ministre devrait agir. »
Échec de la police
Le juge Paul Rouleau blâme sévèrement les forces policières. L’ancien chef de la police d’Ottawa, Peter Sloly, aurait fait confiance à ses subordonnés et n’aurait pas vu venir les dérapages du convoi. Avant l’arrivée des poids lourds à Ottawa, Le devoir avait pourtant signalé que ses participants souhaitaient y rester des jours, voire des semaines, jusqu’à ce que le gouvernement fédéral renonce à ses obligations en matière de vaccination et de santé.
« Une grande partie du gâchis à Ottawa était le résultat de la croyance erronée du SPO [Service de police d’Ottawa] concernant la durée des manifestations », détaille le rapport.
L’ex-chef Sloly n’avait « pas élaboré de plan opérationnel global pour mettre fin aux manifestations ». Il a plutôt rédigé un protocole de maintien de l’ordre décrit par le juge Rouleau comme un « sous-plan », ce qui a donné à ses partenaires l’impression erronée qu’il y avait bel et bien un plan.
Le juge Rouleau recommande également que le gouvernement canadien procède à un examen de la façon dont les agences de renseignement fédérales partagent leurs informations avec les autres paliers de gouvernement.
Les audiences publiques ont montré que des problèmes de partage de renseignements sur le Freedom Convoy ont amené la police d’Ottawa à se fier à des rapports incomplets d’un professionnalisme douteux, alors que des rapports d’agents provinciaux sur les activités des manifestants leur étaient accessibles.
Les provinces devraient également être consultées lors de la prochaine invocation des mesures d’urgence, note le rapport Rouleau. Le Québec, en particulier, s’oppose à ce que cette loi d’exception s’applique sur son territoire. Le juge estime que le gouvernement Trudeau aurait pu restreindre géographiquement les mesures, bien qu’il accepte ses explications pour les avoir imposées à tout le pays.
Après avoir entendu 76 témoins, dont des policiers, des manifestants, des fonctionnaires et des élus municipaux et fédéraux, puis toute une série d’experts, le juge Rouleau est arrivé au diagnostic que les revendications du Freedom Convoy « ont été modelées par un paysage en ligne truffé de désinformation » .
Les événements de l’hiver, « un torrent de protestations politiques et de troubles sociaux », ont été extraordinaires, « mais pas totalement imprévisibles[s] », note le juge. Selon lui, tous les paliers de gouvernement devraient maintenant étudier l’impact sur la société de la désinformation présente sur les réseaux sociaux.
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