« Ne pas voter pour la réforme a été une erreur majeure »


Saint-Pair-sur-Mer, Cherbourg, Saint-Lô et Remilly-les-Marais (Manche)

De notre envoyé spécial

Le rendez-vous était fixé au bar-tabac de La Poste, dans le centre de Saint-Pair-sur-Mer, petite station balnéaire collée à Granville. Au comptoir, la conversation tourne autour de la réforme des retraites. « Ce sont toujours les petits qui trinquent », déposer un client. Cinq minutes plus tard, le même homme serre la main de Bertrand Sorre, député Renaissance de cette partie sud du Cotentin, qui vient de pousser la porte.

Réélu en 2022 avec 64 % des voix, cet ancien enseignant est l’un des deux représentants de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale de la Manche, un département divisé en quatre circonscriptions. Il est revenu sur ses terres jeudi 16 mars, juste après le déclenchement du 49.3 pour faire passer la loi décriée, et n’a rien changé à son programme, même si la préfecture l’a appelé à la prudence. « Je ne me sens pas du tout menacé. il a dit. Je connais les gens, je suis un enfant du pays, c’est un territoire dans lequel on respecte ceux qu’on a élus, même si on n’est pas d’accord avec eux. »

Vendredi, Bertrand Sorre a assisté à l’assemblée générale de la fédération départementale des syndicats d’agriculteurs (FDSEA). « Il y a quelques personnes qui m’ont crié dessus pour me dire : ‘Bertrand, tu nous emmerdes avec les retraites’, mais les gens se sont plutôt plaints de l’attitude de certains députés qui foutent le bordel à l’Assemblée nationale », il assure. Tout au plus, sa boîte aux lettres a-t-elle été inondée de messages d’origine inconnue lui demandant de voter la motion de censure le lundi 20 mars. « Ce que je ne ferai évidemment pas. »

Lui-même ne voulait pas du « 49.3 ». « Cette réforme a une telle importance dans la vie des Français qu’il fallait aller jusqu’au bout du vote, quitte à perdre », il explique. Devant une tasse de café, le député ne cache pas que son camp n’a pas toujours été à son avantage dans ce dossier. « Même si c’est facile à dire après coup, on aurait pu rendre la réforme plus acceptable », il euphémise. Il croit pourtant à sa nécessité. « Ma peur pour l’avenir, c’est la violence dans la rue. Mais pas ici. » Un autre client embrasse celui qui fut également maire de Saint-Pair-sur-Mer, une commune de 4 000 habitants. « On ne donne pas assez la parole à ceux qui défendent la réforme », elle glisse. La dame n’en dira pas plus : « Vous savez, je suis à la retraite depuis dix ans. »

Une centaine de kilomètres plus au nord, à Cherbourg, d’autres ne cachent pas leur opposition frontale. Samedi 18 mars, des manifestants – ils étaient 2 500 selon les syndicats et 1 500 selon la police – ont défilé dans les rues de la ville la plus peuplée de la Manche, fief industriel et syndical. Quelques étudiants ont rejoint la marche, comme Maya. Elle a « vouloir croire » que cette mobilisation finira par payer. « En tout cas, je ferai tout ce que je peux pour changer cela », elle continue. Y compris en lançant des pavés, comme d’autres à Paris ou à Rennes ? « Non, ce n’est pas mon style », elle répond en riant.

Derrière elle, au milieu du cortège, Anna Pic s’avance avec son écharpe de députée tricolore sous la bannière de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). En 2022, ce socialiste a repris aux macronistes la circonscription qui était celle de Bernard Cazeneuve. A 44 ans, c’est son premier mandat de député. « Ne pas voter sur cette réforme a été une erreur majeure du président Macron, elle juge. La retraite est un enjeu de société, les gens ne comprennent pas ce passage forcé. Mais ce n’est pas fini, nous sommes aussi sur le terrain pour expliquer que nous avons encore des moyens institutionnels et constitutionnels et que nous allons les utiliser. »

Lundi, la parlementaire sera de retour à Paris pour apporter sa voix à la motion de censure déposée par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot). « Nous voulons le retrait de cette réforme qui n’a pas de majorité, et rien d’autre, se souvient-elle. La motion peut être votée par toute personne qui pense que ce projet ne peut pas être mis en œuvre. » Elle pense aussi au processus référendaire d’initiative partagée, le RIP. « Il faut trouver un exutoire politique à ce mouvement, et le RIP en fait partie. » Pour Anna Pic, la formule permet « maintenir la mobilisation, sans briser la démocratie représentative, en réaffirmant le lien entre la population et ses représentants ». Elle craint aussi les débordements : « La colère qui s’est exprimée avec les gilets jaunes n’a pas disparu. Les gens se disent : « Chaque fois que nous avons été écoutés, c’est parce que nous nous sommes trompés. » C’est terrible pour la démocratie. »

A Saint-Lô, la capitale de la Manche, entre 150 et 200 personnes ont également manifesté à l’appel de l’intersyndicale locale le 18 mars. Une lettre ouverte a été lue au député LR, Philippe Gosselin, fervent partisan de la réforme. , afin qu’il vote la motion de censure. L’élu, qui en est à son quatrième mandat consécutif, a également reçu une myriade de courriels à ce sujet. « Je ne vais pas ajouter le chaos au chaos », il rétorque.

Le mercredi précédent, des syndicalistes avaient collé une cinquantaine d’affiches sur la vitrine de son bureau. « Je ne prends pas ça à la légère, mais ça reste dans le jeu démocratique classique, commente ce gaulliste social. J’ai connu des choses plus virulentes. » Lui aussi était à l’assemblée générale de la FDSEA. « On a surtout été interpellés sur l’ambiance à l’Assemblée, plus que sur les retraites », dit-il à son tour.

Certains l’ont également interrogé sur le refus d’une partie de son peuple de voter pour la réforme. « Chez LR, on a une part de responsabilité dans la situation, il ne faut pas le nier, mais on n’a pas toute la responsabilité », il soulève. Tout le week-end, il a sillonné son secteur, agricole et rural, comme à son habitude. Dimanche, il était à Remilly-les-Marais, le village de son enfance, pour une exposition de tracteurs et véhicules anciens. Nous ne lui avons pas parlé de retraite. « Je recharge mes batteries, loin de l’Assemblée », il a dit.

Le Normand aime à rappeler que Tocqueville aurait décrit les Manchois comme étant « violemment modéré ». « Mais même à la maison, tu sens la tension, les gens sont à cran. Il y a un climat social qui agrège beaucoup de choses, les retraites, l’inflation, la peur de tout perdre. Attention à ne pas jouer avec le feu. Lorsque la grenade est détachée, vous ne savez pas où elle ira. Parfois, elle te pète au visage. » Ce 20 mars, il ne sera pas dans l’hémicycle. Il recevra dans sa permanence. Rendez-vous d’une demi-heure« comme les médecins ».


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