« Mermaid Sisters »: S’autoriser le droit d’être libre


Dans une volonté de renverser les mythes, de briser les idées reçues autour de la différence et des enjeux qui l’accompagnent, Elie Marchand, auteur et co-fondateur de la compagnie féministe pour enfants et jeunes Cours Libre, propose avec Sœurs sirènes une proposition librement inspirée de l’univers mythique de ces créatures marines.

C’est en fait après avoir rencontré une sirène professionnelle – oui, il y en a – que l’idée de la pièce a émergé dans l’esprit du designer. « En fait, il y a un mouvement qui a beaucoup grandi ces dernières années, ça s’appelle le « sirène” […] qui est l’action de personnifier les sirènes […] moi, celle que j’ai rencontrée, c’est Claire […] elle fait des performances aquatiques, […] tubas, ouvre les yeux, nage même lèvres sous l’eau et, quand j’ai vu ça, ça a ouvert une tranche incroyable de mon imagination. Oh ! Oui, OK, ce n’est pas qu’un personnage de fiction, il y a des gens qui l’ont incarné », lance Elie Marchand avec un émerveillement bien senti au bout du fil. En parallèle de cette histoire de sirène qui servira de prémisse à sa création, l’idée de parler de transidentité germe. « J’ai commencé à écrire cette pièce en 2017 et, à l’époque, il y avait très, très peu de pièces sur ce sujet, et encore moins pour le jeune public. Je pensais que la figure de la sirène était intéressante avec ce thème, car les sirènes n’ont pas d’organes génitaux. […] On les associe souvent à la féminité — c’est vrai qu’elles ont souvent un buste féminin, mais pas toujours, il y a aussi des tritons — donc j’y voyais une porte d’entrée possible pour aborder ce sujet avec les enfants. »

Elie Marchand raconte ainsi l’histoire de Charlie, champion junior de plongeon qui s’entraîne en piscine. En sortant des vestiaires, il lâche un rouge à lèvres qui sera ramassé par Agnès, une enfant amputée après avoir vécu un accident de bateau. « Il y a une sorte de pacte qui se fait à ce moment-là et, à la fin, une rencontre forcée devient une rencontre d’amitié sincère. Les deux personnages vont tous les deux surmonter leur défi et réaliser les rêves qu’ils avaient », explique l’auteur. Si l’amitié les aide à avancer, chacun des personnages s’inspire également d’icônes des eaux, de véritables sirènes comme Annette Kellermann, créatrice de la nage synchronisée, et Sylvia Earle, océanographe, première femme à avoir touché le fond des mers. ‘océan. « Je suis entré dans une figure de sirène plus incarnée […] Et c’était aussi ça que j’ai trouvé intéressant, renverser ce mythe et montrer d’autres interprétations possibles, mettre mon petit grain de sable dans ce gros engrenage qu’est la figure de la sirène », souligne Marchand.

Pousser les limites

Comme ses pièces précédentes — en tête, Histoire d’une chaussure dont la poétesse Anne-Marie Alonzo était une icône — Elie Marchand poursuit avec Sœurs sirènes cette volonté d’abolir un peu plus les frontières, d’offrir des sujets, des personnages qui, par leur humanité, pourront assurer l’identification aux jeunes. Ici, le créateur aime cette idée d’inviter les enfants à une histoire qui met en scène des personnes sous-représentées, comme l’incarne Charlie qui s’interroge sur son identité. « En 2017, quand j’ai commencé le projet, dès que j’ai nommé la prémisse, quand j’ai parlé de transidentité, les adultes ont tout de suite eu des a priori ou des inquiétudes à ce sujet. Peut-on vraiment en parler aux jeunes ? Comment pouvons-nous en parler ? Vont-ils comprendre ? J’ai eu l’intuition que la quête de ces deux enfants est de se libérer du regard des autres et de repousser leurs limites. Et c’est une quête que chacun a, à un moment ou à un autre de sa vie. […] Avec ces personnages [trans et amputé]leur différence est plus marquée, mais leur quête est celle de chacun ».

Cette envie de toucher les jeunes et d’éveiller en eux cette envie de repousser les limites, d’aller au bout de leurs envies se révèle aussi beaucoup dans le chemin parcouru par l’auteur. Sans vouloir présenter la souffrance qui accompagne les défis surmontés par Charlie et Agnès, il privilégie au contraire le côté lumineux de cette démarche, un chemin qui ouvre sur la liberté.

« Se donner le droit d’être libre, le droit de vivre dans le monde tel que l’on est, c’est quelque chose de très important à nommer. Bien sûr, je fais aussi partie de la communauté trans, donc il y a des choses qui sont très personnelles. Mais même en dehors de ça, j’ai toujours été très sensible à ces histoires et à la représentation de la différence dans les fictions où, souvent, lorsqu’elle est représentée, on va mettre l’histoire de la souffrance » et les difficultés qui en émanent ça, dit-il.

C’est beaucoup d’essayer de déconstruire ce carcan glacé, cette image enchevêtrée qui empêche de vivre librement, et qui tend à associer la marginalité à la souffrance, qu’écrit Elie Marchand. Pour lui, ce qui compte encore plus que de mettre en scène la différence, c’est de proposer un récit de vie positif et lumineux, et pas seulement les enjeux autour du thème. « Sans dire qu’il n’y a pas de défis — j’en suis parfaitement conscient — je pense qu’il est important de représenter des œuvres dans lesquelles différentes personnes sont également heureuses. Ce n’est pas seulement l’histoire de la souffrance. »

Sœurs sirènes veut donc être un mot pour la liberté d’être, une pièce qui s’ouvre sur le droit d’être soi, sans contraintes. « C’est dur d’exister quand on est différent, c’est sûr. [Au départ], on se dit que ce sera plus facile de se conformer, de faire exactement ce qu’on attend de nous, mais ça nous rattrape. Nous pouvons proposer aux jeunes de ne pas avoir besoin de se cacher et d’expérimenter, d’être libres. On perd moins de temps », conclut-il doucement.

Sœurs sirènes

Texte et dramaturgie : Elie Marchand. Réalisation : Marie-Ève ​​Lefebvre. Avec Marie Fannie Guay, Cha Raoutenfeld. Une production du théâtre de cours Libre. Présenté à la Maison Théâtre, du 7 au 19 mars. Pour les 9-12 ans.

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