Mélikah Abdelmoumen, fière défenseure de l’écriture du « je » | Prix ​​de la création


Mélikah Abdelmoumen défend bec et ongles ce genre littéraire trop souvent victime de préjugés et de commentaires condescendants. Le prix Nobel cette année était le conte ! souligne-t-elle, non sans une pointe de fierté.

Elle gronde ceux qui accusent l’histoire d’être narcissique. Pour moi, écrire c’est nommer le monde, essayer de le comprendre, essayer de rendre compte de notre regard et prendre conscience que nous ne sommes pas les seuls à l’avoir. L’écriture du « je » est loin d’être narcissique et auto-orientée. C’est comme une main tendue au lecteur pour trouver des points où l’on se rencontre, où l’on se ressembleelle dit.

Elle voit le récit comme un genre hybride qui ouvre la porte à tous les autres. Elle apprécie cette grande liberté. Son dernier livre, par exemple, Baldwin Styron et moi, publié en 2022 par la maison d’édition Mémoire d’encrier, était classé essai, mais il aurait très bien pu s’agir d’un récit politique, estime-t-elle.

Dans cet ouvrage, elle réfléchit sur sa propre identité en parallèle de sa découverte de deux auteurs américains, James Baldwin, afro-descendant engagé dans la lutte pour les droits civiques, et son ami, le populaire William Styron, auteur notamment des meilleurs – vendre un livre Le choix de Sophie. Leur amitié sera à l’origine d’un des premiers scandales autour de l’appropriation culturelle dans les années 1960. Un sujet qui est encore très dans l’air du temps aujourd’hui et qui la passionne.

Styron, écrivain blanc, se propose d’écrire l’histoire de Nat Turner, un esclave à l’origine d’un soulèvement en Virginie au XIXe siècle. Baldwin suggère alors qu’il soit le propre narrateur pour donner plus d’effet au texte. L’écrivain blanc écrit donc au je l’histoire d’un esclave noir. Cela génère des controverses.

L’héritage d’un nom

A travers le récit de cette histoire, Mélikah Abdelmoumen ne peut s’empêcher de faire le lien avec sa propre histoire.

» Nous sommes très nombreux, les Québécois, à qui nous avons collé des étiquettes disant que nous ne sommes pas de vrais Québécois parce que nous avons telle couleur de peau ou tel nom de famille. »

Une citation de Melikah Abdelmoumen

Il ressent souvent son nom de famille comme un fardeau. Mélikah Abdelmoumen est née à Chicoutimi d’une mère saguenéenne militante du Parti québécois et d’un père d’origine tunisienne qui a choisi de s’enraciner au Québec. La famille a déménagé à Montréal quand elle avait 4 ans. Dix ans plus tard, ses parents se séparent. Son père est revenu vivre en France. Elle rend régulièrement visite à sa famille au Saguenay ainsi qu’à son père à Strasbourg.

Auteur et éditrice Mélikah Abdelmoumen

Photo: Photographie de bulles blanches

En 1992, elle entame des études de littérature. Elle rédige ses mémoires sur l’autobiographie et George Sand, puis sa thèse sur Serge Doubrovsky, le créateur du terme autofiction.

A 33 ans, elle s’exile à Lyon avec son amant français. De ce long séjour résulte l’histoire Douze ans en France, dans lequel elle raconte le climat politique et les divisions sociales étouffantes.

» Cela ne m’a pas empêché de m’enraciner. Je m’y sens chez moi, mais le discours dominant et l’air du temps ne sont pas favorables quand on s’appelle Abdelmoumen… »

Une citation de Melikah Abdelmoumen

Face au racisme et à la montée des discours de haine dans son pays d’adoption, elle pousse sa réflexion sur l’identité. Elle sent une convergence des luttes entre Arabes et Noirs. Je ne me sentais pas arabe jusqu’à ce qu’on me dise que j’étais arabe. Moi, je suis Québécois dans ma tête !

Loin de l’agitation quotidienne

De retour au Québec il y a cinq ans, Mélikah Abdelmoumen était éditrice au Groupe Ville-Marie Littérature. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef de la revue Lettres du Québec depuis un an.

Les magazines ont toujours été pour moi des lieux de résistance. On n’y pense pas au même rythme, en dehors de l’espèce de bruit de fond quotidien dont on est tous pris […] J’aime ça.

Loin des impératifs de l’actualité quotidienne, les magazines ont le loisir de provoquer des rencontres et de se pencher sur des questions selon une autre temporalité. Et c’est désespérément nécessaire à cette époque où une opinion catégorique condensée en une phrase choc est la norme. Cela favorise la polarisation, pas la discussion.

» Le problème, c’est qu’il faut quelques minutes pour écrire n’importe quoi sur un coin de table pour faire chier les gens. Refuser les gens et dire des choses vraies demande de la recherche, du temps et des textes plus longs. »

Une citation de Melikah Abdelmoumen

L’auteur qui n’a jamais gagné, ou presque

Mélikah Abdelmoumen a déjà participé à quelques concours ou prix littéraires. Je suis une fille qui ne gagne presque jamais rien , elle dit. Sauf récemment. Elle a reçu le prix Pierre-Vadeboncoeur de la CSN pour Baldwin Styron et moi. Même si cette reconnaissance lui fait grand plaisir, elle est consciente de la subjectivité des compétitions.

Elle sourit au micro.

Mélikah Abdelmoumen lors d’une interview en 2018 au micro de « Plus on est fou, plus on lit »

Photo : Radio-Canada / Hamza Abouelouafaa

De plus, elle souhaite que tous les participants à un concours littéraire gardent à l’esprit cette notion de subjectivité.

» Les gens qui ne gagnent jamais ne devraient pas penser que leurs œuvres ne sont pas valables. »

Une citation de Melikah Abdelmoumen

En plus d’être membre du jury du Prix Narratif, Mélikah Abdelmoumen finalise un essai sur l’engagement qui sera publié à l’Atelier 10. Elle y parle de trois générations de femmes engagées : sa grand-mère, sa mère et elle-même. même.

Elle poursuit l’écriture d’un livre de fiction qu’elle a commencé en 2014. Cette fois, elle fait des romans sombres à saveur de thriller social. L’action se déroule dans un pays qui n’existe pas et tourne autour des questions de l’expression de l’extrême droite et de la haine dans une certaine indifférence.

Il y a aussi, durant l’hiver, la lecture de l’émission Baldwin, Styron et moi dans diverses maisons de la culture à Montréal.

Véritable tremplin pour les écrivains canadiens, les Prix de la création Radio-Canada sont ouverts à tous les écrivains, qu’ils soient amateurs ou professionnels. Chaque année, ils récompensent les meilleurs récits (récits vécus), nouvelles et poèmes inédits soumis au concours.

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