Macron veut que les jeunes soient au garde-à-vous

Les hypothèses sont posées. Une préférence est même donnée. Tout est évidemment prêt, mais ce n’est vraiment pas le moment d’officialiser… Il y a un lien qu’Emmanuel Macron et le gouvernement d’Élisabeth Borne redoutent visiblement comme la peste : la jonction pourrait intervenir à tout moment. moment entre la contre-réforme des retraites, combattue par le mouvement syndical, mais aussi rejetée par une écrasante majorité de la population, et la possible généralisation du service national universel (SNU), un dispositif qui, jusqu’ici basé sur le volontariat , est susceptible d’être prolongé pour devenir obligatoire chaque année pour les élèves du secondaire à travers le pays.
C’est l’histoire d’une lubie transformée en serpent de mer. Et, aujourd’hui, en une bombe menaçant d’exploser entre les mains de son concepteur. En mars 2017, avant sa première victoire à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron promettait de mettre en place un « service national obligatoire et universel » permettant que « tout jeune Français a la possibilité de faire l’expérience de la vie militaire, même brièvement ».
Le dispositif ne suscite pas d’enthousiasme débordant : l’an dernier, 32 000 jeunes ont pris part à l’initiative, loin de l’objectif budgété de 50 000.
Le SNU a été créé en 2019, sous la forme d’un « stage cohésion » de deux semaines pour les jeunes volontaires de 15 à 17 ans, avec la possibilité d’exercer, en plus, une mission d’intérêt général. Mais depuis sa mise en place, le dispositif n’a pas suscité d’enthousiasme débordant : l’an dernier, 32 000 jeunes ont pris part à l’initiative, loin de l’objectif budgété de 50 000 participants.
Les grands mots du gouvernement, « cohésion nationale », « mixité sociale »
Difficile de se démêler derrière les grands mots – « cohésion nationale », « mixité sociale » et « engagement » – la portée et l’utilité réelle d’un tel système pour les jeunes ou, au-delà, pour la nation. Diffusées lors des déplacements de Sarah El Haïry, la secrétaire d’Etat (Modem) à la Jeunesse et du SNU, dans les centres d’accueil, toutes les images font référence à une forme de pantomime militaire.
A chaque fois, on nous montre des lycéens en rangs serrés et en silence, des jeunes mis au pas, avec leurs casquettes droites et leurs uniformes« . William Petipas, co-animateur du French Youth Forum
« A chaque fois, on nous montre des lycéens en rangs serrés et en silence, des jeunes mis au pas, avec leurs casquettes droites et leurs uniformes, souligne William Petipas, co-animateur du Forum français de la jeunesse et secrétaire national du Mouvement chrétien des jeunes ruraux. Je ne vois pas en quoi cela pourrait être le meilleur moyen d’inculquer des valeurs à qui que ce soit. »
Volontairement ou non, en termes de SNU, de sa gestation à son expérimentation et avant sa généralisation, tous les signaux renvoient au même imaginaire. Le 20 février, à Paris, le ministre a rendu visite à de jeunes volontaires inscrits dans la « cohorte André-Maginot », à la mémoire de l’inventeur de la célèbre ligne de défense après la Première Guerre mondiale.
De quoi provoquer le ridicule sur les réseaux sociaux ces derniers jours, mais selon le secrétaire d’Etat interrogé par humanité, « le gouvernement n’y est pour rien, il se réfère simplement à une fédération d’anciens combattants qui porte ce nom »…
Selon le secrétaire d’État à la Jeunesse, « l’uniforme, au fond, c’est comme dans un club de sport »
Plus symptomatique sans doute : lors d’une consultation à Matignon, à l’automne 2022, un conseiller, selon un participant à la réunion, a évoqué le « climat actuel de mobilisation et de défense à cause de la guerre en Ukraine » pour justifier l’obligation pour les lycéens de passer tous par le SNU.
Même dans ses dernières prises de parole sur le sujet, Emmanuel Macron ne lésine pas sur les symboles martiaux ou les envolées lyriques. « Je sais que je peux compter sur les militaires et sur les anciens militaires pour relever les défis du renforcement des forces morales de la nation, en particulier de la jeunesse », avait lancé le président de la République début novembre en annonçant un grand discours imminent, puis une nouvelle fois repoussé, sur le SNU.
Face aux réticences d’une jeunesse qui, sur des motifs accusateurs de pouvoir, comme la lutte contre le réchauffement climatique ou l’égalité entre les femmes et les hommes, ne s’est peut-être jamais autant engagée qu’aujourd’hui, mais aussi face à l’inquiétude, voire à l’opposition catégorique, des enseignants, dans le secteur de l’éducation populaire et même dans l’armée, Emmanuel Macron et son gouvernement sont enfermés.
À ce stade, selon le secrétaire d’État à la Jeunesse et l’UNS, « rien n’est arbitré et c’est le Président de la République qui décidera » dans une fenêtre désormais large, entre fin mars et juin. Et d’ajouter : « Son nom peut être trompeur, mais l’UNS n’a rien à voir avec le service militaire. L’uniforme, en gros, c’est comme dans un club de sport. »
Le SNU devrait être rendu obligatoire pour tous les lycéens sur deux semaines confisqués du temps scolaire
Mais selon plusieurs représentants d’associations qui, reçus ces dernières semaines par Sarah El Haïry, se sont confiés sur Humanité, l’essentiel est lié. Révélé lundi par Politiqueun document officiel, que nous avons également, suggère que le SNU soit rendu obligatoire pour tous les lycéens sur deux semaines confisqués du temps scolaire.
Dans cette Foire aux questions, mise en ligne provisoirement début décembre sur l’un des sites du ministère de l’Éducation nationale, le gouvernement décrit un processus aboutissant à une « généralisation totale » de l’appareil.
Dans ce scénario, il est envisagé de lancer « l’expérimentation de l’obligation à la rentrée 2023-2024 dans six départements qui seront déterminés par décret », avant un « élargissement » plus tard dans les années suivantes. Selon les recoupements effectués par le Snes-FSU et rendus publics le week-end dernier, les départements envisagés seraient les Hautes-Alpes, le Cher, la Dordogne, le Finistère, le Var et les Vosges.
Le cabinet de Sarah El Haïry botte en touche. « Pour nous, il n’y a rien de nouveau, expliquons-nous à Humanité. C’est un document de travail qui n’est pas resté en ligne plus de dix minutes. Nous travaillons sur des hypothèses, et la généralisation en fait partie, c’est à nous d’être prêts quand le Président de la République se décidera. »
Pour Claire Guéville, secrétaire nationale du Snes-FSU, le gouvernement cherche un « fenêtre de lancement » afin de faire des annonces sur le SNU, mais maintenant l’obligation pour tous les lycéens pendant le temps scolaire « tiens la corde » au lieu d’une simple incitation sur une base volontaire.
« Nous n’avons pas voulu prendre en compte des propositions alternatives comme le statut du lycéen engagé »
» On est face à un double langage et tout est très mal ficelédénonce le dirigeant syndical.Le SNU multiplie les symboles de soumission à l’ordre établi pour la jeunesse. A nos yeux, c’est très loin des valeurs de la République ; le libre arbitre est très important ! Le gouvernement travaille sur un scénario de généralisation et d’obligation, dont le corollaire est la coercition. Il serait donc obligatoire d’avoir fait le SNU pour s’inscrire aux examens et cela pourrait rapporter des primes à Parcoursup. C’est catastrophique en termes de conception pédagogique, nous sommes catégoriquement opposés à ce type d’incitation comme à toute forme d’absorption de l’éducation morale et civique dans l’UNS. C’est un casus belli pour nous ! »
Il serait donc obligatoire d’avoir fait le SNU pour s’inscrire aux examens et cela pourrait rapporter des primes à Parcoursup. C’est catastrophique dans la conception de l’éducation ». Claire Guéville, secrétaire nationale du Snes-FSU
Le secrétaire général de la Voix lycéenne, Ephram Strzalka-Beloeil, également reçu par le gouvernement mi-février, soutient dans le même sens. « Nous sommes certains que tout est fermé, il se confie Humanité. Il est trop tard pour changer quoi que ce soit, nous dit-on, et nous n’avons pas voulu tenir compte de nos propositions alternatives comme la prise en compte du statut du lycéen engagé, qui serait valorisé au bac ou à Parcoursup. Pour nous, ce projet ne peut pas passer dans la jeunesse, et c’est pour cela que le gouvernement attend, car il sait qu’il provoquera un soulèvement en masse. »
Le gaspillage de l’argent public, 2 milliards d’euros par an
Pour beaucoup pourtant, l’étincelle de la transition en gestation ne réside pas forcément dans l’obligation en tant que telle pour l’UNS… mais peut-être encore plus dans le gaspillage de l’argent public. Le dispositif pourrait, une fois généralisé, coûter jusqu’à 2 milliards d’euros par an. Un chiffre confirmé à Humanité par les services du ministère et qui est très loin des estimations initiales d’environ 1 milliard d’euros…
« La somme est considérable et elle pourrait être affectée à de vraies priorités pour les jeunesajoute William Petipas.Le gouvernement dépense beaucoup pour la promotion de l’UNS, il pourrait orienter cet argent vers la promotion de la formation des animateurs qui manque cruellement, pour augmenter les allocations des jeunes en service civique, etc. Surtout, alors que la pauvreté touche les jeunes personnes en difficulté, a enfin mis en place une extension de l’accès au RSA aux moins de 25 ans. Ce ne serait pas de l’assistanat, mais un véritable outil d’émancipation, ce que le SNU n’est pas du tout, en l’état. »
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