Les routes cahoteuses vers un hockey mineur plus en forme

Climat toxique, loi du silence, initiations dégradantes, scandales sexuels. Des voix s’élèvent partout pour réclamer un environnement plus sain pour les jeunes joueurs de hockey. La rédemption du « sport national » du Québec peut-elle passer par une réforme de ses structures ? Le devoir fait le tour de la question avec les architectes du hockey mineur contemporain.
« Pour faire une petite histoire, avant, il n’y avait qu’une seule route pavée : elle passait par le hockey associatif. Là, nous asphaltons un deuxième chemin à travers l’école, qui mènera au même endroit. Il va y avoir deux belles routes. »
Cette image est celle de Stéphane Auger, directeur du département hockey au Réseau sportif étudiant du Québec (RSEQ). Depuis des années, cet ancien arbitre de la Ligue nationale de hockey travaille à « harmoniser » les trois ligues scolaires qui existaient auparavant indépendamment. « C’est réglé », a-t-il déclaré, ravi, dans une interview au Devoir.
Si les intentions sont bonnes, le résultat n’est pas encore tout à fait au point, nuance Albert Marier, ancien conseiller gouvernemental sur le hockey, qui a établi les règles du sport-études dans les années 1980. Selon lui, l’école de hockey n’en est encore qu’au stade « route de gravier » de la formation de l’élite. Il croit aussi que le hockey scolaire n’est pas la meilleure voie pour un jeune qui rêve de devenir professionnel.
« Ce n’est pas l’école qui développe les athlètes », dit-il. Il n’y a que dans le football que cela est vrai à 100%. Dans le cas du baseball, du basket, les meilleurs évoluent tous dans des programmes privés. Si le but est de former de bons citoyens, alors le sport-études est le choix parfait, précise-t-il. « La réussite scolaire est au plafond, elle est excellente. C’est une totale réussite. »
Mariage organisé
Pendant longtemps, ce fut la guerre entre les réseaux associatif et scolaire. Mais ce dernier a fait ses preuves et continue de faire des adeptes, au point qu’il est désormais impossible de l’ignorer. Les parents apprécient le réseau scolaire notamment pour l’encadrement des jeunes joueurs qui est fait par des professeurs d’éducation physique plutôt que par des parents bénévoles comme dans le réseau associatif. Les horaires de cours sont adaptés et les entraînements se font généralement pendant les heures de classe. Pour les parents surmenés, c’est souvent un gros plus.
Le RSEQ et Hockey Québec ont récemment signé une entente. Aujourd’hui, leurs dirigeants disent haut et fort que les deux structures sont nécessaires, car elles répondent toutes deux à des besoins particuliers et travaillent ensemble plutôt que l’une contre l’autre. C’est du moins le cas sur papier, car, dans la réalité, «le mariage est plus difficile» dans certaines régions, explique le directeur général de Hockey Québec, Jocelyn Thibault. « C’est l’un des gros défis que nous vivons présentement, reconnaît l’ancien gardien du Tricolore.
Certaines associations de hockey mineur sous la direction de Hockey Québec déplorent la perte de joueurs à l’école, explique-t-il. Elle tente donc de les faire évoluer vers une réalité plus adaptée aux besoins d’aujourd’hui. « C’est vrai que c’est plus difficile d’organiser des équipes quand on a 400 joueurs que 200 dans une région. Mais il faut arrêter de penser qu’on perd des joueurs. Ils sont juste ailleurs. C’est cette perception qu’il faut changer, et c’est fondamental comme changement. »
Pour maximiser le bassin de joueurs, il faut trouver des façons de faire jouer les équipes les unes contre les autres, peu importe le réseau dans lequel elles évoluent, explique M. Thibault. « Nous y travaillons, mais il faudra encore quelques années pour réussir. »
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La troisième voie
L’un des problèmes soulevés par plusieurs experts est le fait qu’on accorde trop d’importance aux performances des jeunes en bas âge, alors qu’il est scientifiquement prouvé qu’avant la première grande poussée de croissance, vers 15 ans, il n’y a pas ne sert à rien de se spécialiser, au contraire. Dans un rapport du Comité québécois sur le développement du hockey, dont Stéphane Auger et Jocelyn Thibault étaient membres, publié l’an dernier, il est répété qu’il faut « prioriser le plaisir du jeu chez les enfants » et cesser d’exercer des pressions indues pour faire eux les futures stars. Il évoque un « système où le jeune prodige et son entourage ont l’impression d’être dans une classe supérieure, entourés de spécialistes qui feront en sorte qu’on ‘n’y échappe pas' ».
Dans ce rapport, il est notamment recommandé de supprimer les statistiques des moins de 13 ans. Une mesure à laquelle Jocelyn Thibault souscrit, mais qui lui cause bien des maux de tête. « Le problème, c’est que quand les gens ne sont pas contents [des actions faites par Hockey Québec pour favoriser le plaisir et le développement aux dépens de la compétition], ils partent de programmes privés », explique-t-il. « La même chose s’est produite lorsque nous avons pris la décision de faire jouer nos moins de neuf ans sur la moitié de la glace plutôt que sur toute la glace », ajoute-t-il. Il y a plein de gens qui se sont désaffiliés de Hockey Québec et qui ont quitté les programmes privés pour concurrencer celui de Hockey Québec. »
Au RSEQ, Stéphane Auger fait le même constat. « Nous travaillons avec la fédération [Hockey Québec] réglementer et structurer le hockey pour s’assurer qu’il y ait un bon développement des jeunes, sauf qu’il y a des ligues parallèles qui fleurissent un peu partout, et dès le plus jeune âge. Ils offrent des camps de printemps, des camps AAA, ils sont entreprise. »
À mots couverts, tous deux expliquent que ces ligues parallèles privées exploitent au prix fort la volonté des parents de faire de leur progéniture de futures vedettes de la LNH. Ils demandent, tout comme le Comité québécois sur le développement du hockey l’a fait l’an dernier, d’exiger que tous les organismes et activités liés à la pratique du hockey souscrivent aux règles de Hockey Québec, afin d’assurer un développement sain à tous les enfants.
Montez la pente et évitez de glisser
Le hockey est en perte de vitesse. Dans les « bonnes années », entre 2008 et 2013, le Québec comptait quelque 100 000 joueurs actifs. En 2019-2020, ils n’étaient que 87 000. Et la pandémie a enfoncé le clou dans le cercueil, poussant le nombre d’inscriptions sous la barre des 70 000. Cette année, les chiffres s’annoncent prometteurs — Jocelyn Thibault estime qu’ils seront entre 80 000 et 85 000 — avec une augmentation observée chez les filles. Mais la pente est raide.
L’avenir passe par « une structure hybride » qui s’inspire des meilleures pratiques du réseau scolaire, selon Jocelyn Thibault. Hockey Québec ne peut pas se permettre de remplacer tous ses bénévoles par des professionnels ou de les rémunérer à ce titre, mais la fédération évalue la possibilité de faire appel à des professionnels pour encadrer et équiper les bénévoles. « Nous allons avoir des discussions à ce sujet dans les prochains mois, conclut M. Thibault.
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