Les progrès de la neurochirurgie permettent d’enlever des tumeurs cérébrales entières


Un jour de février dernier, Amélie (nom fictif), âgée de 15 ans, a été frappée par des maux de tête intenses qui persistaient malgré la prise d’acétaminophène. Deux jours plus tard, ses maux de tête lui ont coupé l’appétit et l’ont même fait vomir. Inquiets de voir leur fille dans cet état qui ne ressemble en rien à son état habituel, les parents d’Amélie l’amènent à l’urgence du CHU Sainte-Justine. Après des tests conventionnels non concluants, il a été décidé de lui faire subir un scanner (balayage), qui révèle alors une masse dans le cerveau. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) confirme alors qu’il s’agit bien d’une tumeur localisée dans l’hémisphère gauche du cerveau. Les parents d’Amélie sont alors choqués et dévastés.

Mais le Dr Dominic Venne, neurochirurgien au CHU Sainte-Justine, les rassure. « Il nous a expliqué que cette tumeur nécessitait une intervention chirurgicale, car il n’y avait pas d’autres traitements pour guérir notre fille. Il nous a présenté les avantages et les éventuels inconvénients de cette opération, et nous a dit qu’en principe, notre fille pourrait retrouver son vie après la chirurgie. Il m’a alors proposé de réaliser cette opération dès que le bloc opératoire serait disponible », raconte le père d’Amélie.

Le Dr Venne leur a également dit qu’il utiliserait une nouvelle technique pour retirer tout le tissu tumoral, ce qui devrait augmenter les chances de survie.

Un grand succès

L’extraction a finalement lieu le 16 février. Après plus de 10 heures passées au bloc opératoire, les neurochirurgiens informent les parents que l’intervention a été un grand succès.

Ce succès a été rendu possible grâce à deux techniques de pointe utilisées au CHU Sainte-Justine : la chirurgie guidée par fluorescence et le suivi physiologique peropératoire. Depuis un an, l’acide 5-aminolévulinique (5-ALA, nom commercial Gleolan) est administré par voie orale, quatre heures avant l’anesthésie générale, à de jeunes patients sur le point d’être opérés de haut grade (c’est-à-dire très malins et rapidement croissance) tumeur cérébrale maligne. Il s’agit le plus souvent d’un gliome qui prend naissance au sein des cellules gliales du cerveau, ces cellules servant de support aux neurones.

Une fois ingéré, le 5-ALA est absorbé spécifiquement par les tumeurs cérébrales malignes et les cellules cancéreuses qui ont envahi les tissus environnants, qui le métabolisent en une substance qui, lorsqu’elle est exposée à la lumière bleue, émet une fluorescence, soit une couleur rouge, rose ou orange foncé.

« Le problème que nous avons en neurochirurgie, c’est que les tumeurs cérébrales ne sont pas bien délimitées, elles n’ont pas de capsule, pas de paroi comme dans d’autres tissus. Le microscope à lumière blanche avec lequel nous effectuons nos interventions chirurgicales nous permet de voir si le tissu est plus solide ou plus friable, s’il est plus vascularisé, s’il a une couleur différente, mais il arrive un moment où tout devient blanc nacré, et là la tumeur devient indiscernable. Il est alors très difficile de faire la différence entre tissu normal et tumeur, d’autant plus que les tumeurs de haut grade sont très agressives et envahissent souvent les tissus adjacents. Cependant, lorsque la tumeur fusionne avec le tissu cérébral normal, la résection de la tumeur [que l’on s’applique à faire] s’avère souvent être partiel ou sous-total. Il arrive souvent qu’on pense avoir tout enlevé, mais que l’examen par résonance magnétique que l’on fait pendant l’opération nous révèle qu’il en reste encore », explique le Dr.r Dominic Venne, chef du service de chirurgie.

Cependant, pour changer le pronostic, plus de 95% de la tumeur visible à la résonance magnétique doit être réséquée. « Il faut retirer le plus de tissu tumoral possible dans le cas des tumeurs gliales pour que les traitements adjuvants, comme la chimiothérapie ou la radiothérapie, soient alors plus efficaces », ajoute-t-il.

Résection plus complète

L’utilisation du 5-ALA favorise grandement l’atteinte d’un tel objectif. Des études chez l’adulte ont montré qu’elle permet de réaliser une résection plus complète chez presque deux fois plus de patients, soit près de 65 % d’entre eux, contre 36 % avec la technique standard, ce qui se traduit par une augmentation de la survie à six mois après le diagnostic. . « Ce n’est certes pas encore le remède parfait, mais cela nous permet de gagner du temps, car en ce moment, la recherche évolue très vite dans les sciences neurologiques, notamment pour les tumeurs cérébrales chez l’enfant », précise le neurochirurgien.

« On commence toujours l’opération avec de la lumière blanche, qui permet de tout voir : le cerveau, qui est un peu rose, et les vaisseaux sanguins, qui sont rouges. C’est plus sûr, car quand on passe à la lumière bleue, tout devient très sombre, presque noir. Nous devons éteindre toutes les lumières de la pièce pour que la rétine du chirurgien s’habitue à l’obscurité. Puis, soudainement, les tissus tumoraux qui ont métabolisé le Gleolan commencent à émettre une lumière rouge foncé ou rose. C’est très spectaculaire », explique le spécialiste.

Travailler avec la lumière bleue est donc plus délicat, on risque par exemple d’abîmer un vaisseau sanguin, souligne-t-il. « Pour cette raison, la majeure partie de la résection se fait à la lumière blanche. Ensuite, on passe en lumière bleue pendant quelques minutes pour voir les résidus tumoraux qu’il nous reste, puis on repasse en lumière blanche. Cela alterne entre la lumière bleue et la lumière blanche. »

« Lorsque nous avons opéré Amélie, Gleolan nous a permis d’exciser toute la tumeur. Après avoir réséqué la majeure partie de la tumeur sous le microscope à la lumière blanche, j’étais sûr d’avoir tout enlevé, mais quand on est passé à la lumière bleue, je me suis rendu compte qu’il y avait encore des îlots de cellules tumorales, que l’on voyait à différents endroits grâce à leur fluorescence rose. On a ensuite poursuivi la résection », raconte le Dr Venir.

zones stratégiques du cerveau

La grosse tumeur qui menaçait la vie d’Amélie était située dans l’hémisphère gauche du cerveau, là où se trouve le centre du langage, et profondément sous le cortex moteur, qui régule la motricité de tout le corps. Pour s’assurer que ces zones stratégiques du cerveau n’étaient pas endommagées, nous avons utilisé le monitoring physiologique peropératoire (MPIA) dont le principe avait été développé par le Dr.r Wilder Penfield, fondateur de l’Institut neurologique de Montréal.

Nous avons donc placé des électrodes sur toute la surface du cerveau, des bras et des jambes d’Amélie, qui enregistraient en continu l’activité nerveuse – électrique – circulant entre son cortex cérébral et ses membres. Ces électrodes permettaient à l’électrophysiologiste de stimuler les muscles de différentes parties du corps et de collecter les signaux électriques déclenchés par ces stimulations à la surface du cortex. Et inversement, de stimuler des points précis du cortex et de capter en périphérie les signaux induits par ces stimulations.

« Nous avons ainsi pu savoir précisément quelle zone du cortex contrôlait la motricité de chacune des parties du corps du côté droit [car le cortex moteur de l’hémisphère gauche commande le côté opposé du corps], ce qui a permis de délimiter précisément l’ensemble du cortex moteur d’Amélie avant de débuter l’intervention. Nous avons alors pu ouvrir le cerveau dans une zone plus sûre et atteindre la tumeur sans endommager le cortex moteur », explique le Dr.r Venir.

Pendant l’opération, le système MPIA avertissait également le chirurgien s’il s’approchait trop près d’une zone motrice ou du centre du langage.

« Il arrive qu’après la chirurgie, les patients présentent une faiblesse musculaire, une parésie (paralysie partielle ou légère) qui peut être corrigée par la kinésithérapie. Mais grâce au MPIA, on réduit ces déficits neurologiques et, par conséquent, la durée moyenne d’hospitalisation », souligne le Dr.r Venir.

Après leur opération, les jeunes patients ont désormais accès à « des chimiothérapies ciblées beaucoup mieux tolérées et plus efficaces », ajoute le Dr.r Venir. « Autrefois, les pathologistes nous donnaient un diagnostic [c’est-à-dire identifiaient le type de tumeur] après avoir examiné la tumeur au microscope. Maintenant, ils vont beaucoup plus loin, ils déterminent la signature moléculaire, ou génomique, de la tumeur, ce qui permet à l’oncologue de choisir des chimiothérapies plus adaptées, voire personnalisées. Les thérapies ciblées pour les enfants sont en plein développement. Ils changent notre façon de travailler. Il y a cinq ou six ans, des astrocytomes de la moelle épinière et des tumeurs des voies optiques ont été excisés. Désormais, les neuro-oncologues n’ont besoin que d’une biopsie pour identifier le type de tumeur et déterminer la thérapie ciblée qui lui correspond. Il n’est plus nécessaire d’enlever la tumeur, et cela nous évite de faire de très grosses chirurgies souvent très risquées », dit-il.

Vingt-quatre heures après son réveil, Amélie allait déjà très bien. « Après l’opération, j’avais un peu perdu le contrôle de la partie droite de mon corps. Du coup, j’ai eu un peu de mal à marcher, car ma jambe droite ne fonctionnait plus comme avant. Mais j’ai vite récupéré [grâce à la physiothérapie] et je me sens beaucoup mieux qu’avant l’opération », raconte Amélie, qui a repris le chemin de l’école et s’est même retrouvée à courir spontanément, pour le plus grand bonheur de ses parents.

A voir en vidéo

(function(d, s, id){ var js, fjs = d.getElementsByTagName(s)[0]; if (d.getElementById(id)) {return;} js = d.createElement(s); js.id = id; js.src = "https://connect.facebook.net/fr_CA/sdk.js"; fjs.parentNode.insertBefore(js, fjs); }(document, 'script', 'facebook-jssdk'));


ledevoir

Back to top button