Les mini-hôpitaux privés en quelques grandes questions


Les mini-hôpitaux privés du gouvernement Legault devraient permettre de réduire les listes d’attente en chirurgie, s’accordent à dire de nombreux experts. Cependant, ils doutent fortement de leur capacité à garantir un service 24h/24 et 7j/7.

Contrairement à une perception largement répandue, il ne s’agira pas des premiers hôpitaux privés de l’histoire moderne du Québec.

SNC-Lavalin en a géré un à Montréal pendant de nombreuses années, l’hôpital Bellechasse, qui a fermé ses portes lors de la réforme Rochon de la fin des années 1990.

Ironie du sort, cet hôpital était situé dans le même secteur où la Coalition avenir Québec veut construire son mini-hôpital dans l’Est, près de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR), rappelle David Levine, ancien président de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. .

« L’hôpital a utilisé le corps médical de Maisonneuve-Rosemont. Les chirurgiens allaient travailler à Maisonneuve-Rosemont le matin et allaient ensuite à Bellechasse. Un système qui a prouvé son efficacité, rappelle-t-il. « Les chirurgiens prenaient en charge tous les petits cas qui étaient traités plus rapidement et ils pouvaient obtenir une meilleure rémunération car ils traitaient plus de cas plus rapidement. »

Avec les mini-hôpitaux privés, le ministre de la Santé Christian Dubé dit vouloir « réduire la pression sur les installations actuelles ». Mardi, il a lancé deux appels à manifestation d’intérêt pour sonder le secteur privé. L’objectif : construire d’ici 2025.

Ces petits hôpitaux offriraient un service de première ligne, avec en prime la radiologie et les opérations « mineures ».

Pour l’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette, pas de doute, les chirurgiens suivront. « Ils sont sous-utilisés », souligne-t-il. En raison du manque de personnel infirmier, de nombreuses salles d’opération ne fonctionnent pas à pleine capacité. Favorable à cette ouverture au secteur privé, M. Barrette reproche surtout à la CAQ de recycler des réformes qu’il n’a pas pu mener à bien.

Hôpitaux ou grandes cliniques privées ?

Sur le papier, ces mini-hôpitaux font aussi très penser à des super cliniques que l’ancien ministre libéral a lancée en 2016, observe M. Levine.

Il s’agit de grands « Groupes de médecine familiale » (GMF) offrant des services 12 heures, 7 jours sur 7, y compris la radiologie. Les GMF, rappelons-le, sont des organismes privés. Et comme ce qui est proposé pour les mini-hôpitaux, les soins qu’ils dispensent sont payés par l’État.

Certes, les supercliniques n’ont pas pratiqué d’opérations chirurgicales. Ce qui fait dire à M. Barrette qu’il s’agit plutôt ici d’un hybride entre un GMF et la clinique DIX30.

Maude Laberge, professeure d’économie de la santé à l’Université Laval, dresse le même genre de parallèle et parle « d’un « entre-deux » entre un hôpital et un GMF ».

Pour Damien Contandriopoulos, expert en politiques de santé publique à l’Université de Victoria, « le terme « hôpital » est un peu trompeur ». Un vrai hôpital, dit-il, a des services intensifs. Sinon, c’est « une grande clinique ». « Qu’adviendra-t-il des cas complexes ? », demande-t-il. « Ils vont faire des chirurgies du genou et de la hanche. Mais disons que vous avez un candidat à la chirurgie qui est âgé et obèse. Le médecin qui le recevra ne le prendra pas car il y a un risque de complications, de devoir aller en réanimation. En revanche, le jeune sportif de 20 ans qui s’est tordu le genou en skiant, lui, va le prendre. Cela soulève « des questions éthiques », selon le chercheur. « Pourquoi le premier attend-il en l’hôpital et le second est traité plus rapidement ? »

Gaétan Barrette estime qu’il est carrément « dangereux » de donner le nom d’hôpital à un établissement qui ne peut prendre en charge les cas critiques. La personne qui a une crise cardiaque ou une maladie grave pourrait frapper par erreur à la mauvaise porte.

« Un hôpital avec un service d’urgence est un endroit où nous avons tout le continuum des soins actifs. Ce n’est pas ça. »

« Guerre nucléaire »

Luc Lepage représente une association d’entreprises privées intéressées par le projet, le Conseil des entreprises privées en santé et bien-être (CEPSEM). «Il y a certainement de l’intérêt chez nos membres», dit-il, soulignant qu’ils ne sont pas favorables à une «médecine à deux vitesses» et veulent jouer un rôle de soutien dans le réseau actuel.

Ses membres comprennent diverses entreprises telles que le groupe Biron (services de diagnostic), les groupes de résidences pour aînés Maurice et Sedna, l’entreprise de technologie médicale BD et pharmaceutique.

Aucune entreprise québécoise n’aura la capacité d’entreprendre seule de tels projets, soutient M. Lepage. « Certains groupes s’intéressent à la partie opérationnelle et clinique ; d’autres à la partie immobilière, d’autres à la partie technologique, à la partie innovation. »

Mais pour que cela fonctionne, le futur consortium devra avoir le plein contrôle sur la gestion de son personnel, dit-il. « Il faut sortir de tout ce qui est rigide et corporatiste dans le secteur public. Bref, pas de syndicat.

Il n’est pas le seul à le dire. Selon de nombreux observateurs interrogés par Le devoirl’un des principaux avantages du recours aux mini-hôpitaux privés est de pouvoir repenser complètement l’organisation du travail.

C’est donc toute une bataille qui se dessine entre le gouvernement et les syndicats, rapporte Damien Contandriopoulos. « Les syndicats qui représentent des infirmières ou d’autres professionnels [comme les travailleurs sociaux et les psychologues] vont être prêts à se lancer dans une guerre nucléaire. Ils feront tout, prévient-il, pour empêcher le gouvernement de « désyndicalisation de leurs membres en créant une nouvelle structure ».

Dans ces futurs hôpitaux, seuls les médecins seraient liés à l’État puisqu’ils seront rémunérés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Les infirmières et autres vivraient dans un système parallèle à celui de leurs collègues du public. Le système public serait également privé d’une partie des effectifs, détériorant ainsi la situation actuelle, ont dénoncé plusieurs cette semaine.

Il y a un étang [de personnel] déjà dans les agences privées que nous pourrons récupérer. Il faut créer une nouvelle organisation du travail, une gestion proactive des ressources humaines, une coalition travail-famille. Il faut vraiment aller ailleurs.

« La grande majorité du personnel qui travaillera dans ces nouveaux hôpitaux proviendra nécessairement du réseau public, déjà aux prises avec de graves pénuries de main-d’œuvre », a dénoncé la présidente de la CSN, Caroline Senneville.

Défenseurs des hôpitaux privés, ils rétorquent qu’ils vont recruter du personnel qui a déjà déserté le réseau public. « Il y a déjà un vivier d’agences privées qu’on va pouvoir récupérer, plaide M. Lepage du CEPSEM. Il faut créer une nouvelle organisation du travail, une gestion proactive des ressources humaines, une coalition travail-famille. Il faut vraiment aller ailleurs. »

Cependant, si les mini-hôpitaux offrent des conditions de travail suffisamment attractives pour convaincre les personnes qui ont quitté la pratique de revenir, comment être sûr qu’elles n’attireront pas aussi du personnel du réseau public ? « C’est une excellente question, dit le professeur Laberge. Cela forcera peut-être encore plus les syndicats à se questionner sur leurs façons de faire. »

Nuits et week-end

Mais quelles que soient les recrues, elles ne voudront peut-être pas travailler la nuit et le week-end, prédisent de nombreux experts. « Ça va être difficile, note Mmoi La Banque. Le secteur privé qui s’est développé dans le domaine de la santé au Canada n’a jamais fonctionné dans ce modèle. Ils n’ont aucune expérience de la gestion de la main-d’œuvre en dehors des heures normales de travail. »

David Levine y voit aussi un grand défi. « C’est un bel objectif politique, mais en réalité, on n’a jamais pu », mentionne-t-il à propos des tentatives des supercliniques et de certains GMF d’ouvrir à des horaires atypiques.

Pourtant, les documents du ministère sont clairs : les mini-hôpitaux offriraient des services 24h/24 et 7j/7 en urgence. Gaétan Barrette, lui aussi, pense que peu de médecins voudront travailler la nuit. Interrogé à ce sujet, le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), Marc-André Amyot, a répondu que ce genre de service n’a peut-être pas besoin d’être ouvert la nuit.

« S’il faut des médecins, on s’organisera pour en trouver. Mais je ne veux pas qu’un médecin soit assis là à remplir des formulaires à 3 heures du matin. La ressource est si rare. […] Si c’est vraiment urgent à 3h du matin, ce n’est pas le mini-hôpital qui va vous recevoir, c’est l’urgence. »

Autre aspect qui reste à éclaircir, et non des moindres : le financement. Lors de la campagne électorale, François Legault s’est engagé à investir 35 millions de dollars dans chaque mini-hôpital.

Des montants qui laissent le privé assez perplexe. Luc Lepage s’est mis à rire quand Le devoir lui en a parlé. « Une salle d’urgence coûte 35 à 40 millions. Alors si on parle d’une salle d’urgence avec radiologie, des salles d’examen, des liaisons avec le labo… C’est un gros centre ambulatoire. »

Relancé au sujet des 35 millions cette semaine, le cabinet du ministre Dubé a indiqué qu’il s’agissait bien du budget prévu par Québec pour la construction de chaque établissement.

Et le secteur privé en aura-t-il pour son argent ? Maude Laberge se demande s’ils pourront générer des marges bénéficiaires intéressantes. Sinon, il faudra s’assurer que leurs services sont vraiment gratuits, souligne-t-elle. « Il faudra s’assurer que ces établissements ne facturent pas les services aux patients, et que des sanctions les dissuadent de recourir à de telles pratiques », précise-t-elle, faisant allusion aux frais annexes qui ont été abolis dans le réseau public (fournitures, appareils, etc.). .). Bref, dit-elle, il faudra prendre en compte « la créativité dont pourraient faire preuve ces nouveaux hôpitaux pour chercher des sources de revenus supplémentaires ».

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