Les femmes qui portent la vie devraient être en tête de liste des priorités

Je ne connaissais pas les sages-femmes avant de faire un documentaire sur elles. J’ai eu deux enfants avec des médecins à l’hôpital, comme presque tout le monde au Québec.
Je me sentais en sécurité à l’époque parce que je ne pouvais pas voir le revers de la médaille de notre système. Sa rigidité forme un couloir dans lequel on dirige tous ceux qui portent la vie pour leur faire suivre le même chemin. Beaucoup en sortent ébranlés, blessés, comme moi. Et ce couloir, saviez-vous, coûte cher ? Plus cher. Et cela conduit à plus de césariennes aussi.
Le système de santé québécois est dépassé par la normalité des naissances. Nous vivons une crise en obstétrique et nous continuons d’y envoyer 96 % des femmes enceintes, y compris celles qui ont des grossesses dites à faible risque. Tout cela, malgré le fait qu’un accouchement avec un médecin à l’hôpital coûte 25% de plus qu’un accouchement en maison de naissance avec des sages-femmes, qui sont pourtant des professionnelles de santé diplômées.
Danger?
J’entends déjà les voix qui s’élèvent pour nous rappeler à quel point l’accouchement peut être dangereux pour la vie de la mère et du bébé. Nous avons la chance d’avoir des médecins compétents pour intervenir quand il y a des pathologies. Et nous avons la chance d’avoir des experts en normalité. Ils font tous deux partie du même système de santé, nous n’avons pas à faire de compromis. Mais encore faut-il avoir accès à leurs services.
Si le gouvernement se vante de l’ouverture de chaque maison de naissance, en réalité, le soutien des sages-femmes est difficile à obtenir et encore méconnu du public ; il n’y avait pas de brochure sur les sages-femmes dans le cabinet de mon médecin.
Cependant, le gouvernement s’est engagé en 2008 à ce qu’il y ait des sages-femmes dans toutes les régions de la province et qu’elles assistent à 10 % des accouchements. Ailleurs au pays et dans le monde, la pratique de sage-femme gagne du terrain. Chez nos voisins de l’Ontario, le taux de soutien des sages-femmes est de 20 % et en Colombie-Britannique, il est de 25 %. Au Québec? 4 %.
Des services plus adaptés
Cette personne qui porte la vie peut être trans, immigrée, autochtone, en bonne santé, en surpoids, enceinte malgré elle, qui sait ? Elle peut avoir une déficience physique, une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre autistique. Et si tel est le cas, sa traversée du couloir de l’accouchement risque d’être encore plus difficile. C’est ce qu’affirme un nouveau rapport de l’Institut d’excellence en santé et en services sociaux (IESSS). Ces femmes handicapées donnent aussi la vie, comme moi. Les services qu’ils reçoivent ne sont pas suffisamment adaptés à leur réalité; les informations dont ils ont besoin peuvent être difficiles d’accès et les attitudes des prestataires de services périnataux sont parfois teintées de préjugés, concluent les auteurs du rapport. C’est comme si on demandait aux femmes enceintes de s’adapter au système au lieu de leur apporter tout notre soutien.
Je suggère quelque chose qui peut sembler fou à quelques jours de la Journée internationale de la femme ; ne devrions-nous pas laisser ceux qui portent la vie nous dire ce dont ils ont besoin ? En prendre soin et ne pas traiter les naissances comme une opération du genou ?
Je propose de viser l’excellence en santé, comme le nom de l’Institut, pour permettre à toutes celles qui souhaitent être accompagnées par qui elles veulent, d’accoucher où et comme elles le souhaitent.
Je propose que l’on place la femme qui porte la vie en tête de liste des priorités. Aimons-la, remercions-la, car si nous sommes tous là, c’est grâce à elle.
Claudie Simard, militante pour la santé des femmes et réalisatrice de documentaires
journaldequebec