L’école comme levier de réinsertion des jeunes délinquants


Ils avaient pour la plupart abandonné l’école, pris dans le tourbillon de la délinquance et du crime, jusqu’à ce qu’un juge les condamne à purger une peine dans un centre de rééducation. Depuis, ils ont repris leurs études, dans l’enceinte du centre. Avec fierté, ils parlent de leurs réussites, de leurs projets d’avenir et de leur détermination à redéfinir qui ils sont, au-delà de leur casier judiciaire.

« Si je n’avais pas été à l’école, je ne sais pas ce que j’aurais fait », raconte John-Karl, un jeune de 19 ans qui a choisi son prénom d’emprunt puisque son identité est protégée par le tribunal. « Pendant les vacances de printemps et pendant les vacances de Noël, je n’aime pas ça, je dois rester à l’étage [à l’unité de vie]. Ici, c’est concret : tu passes un examen, tu obtiens des résultats, tu en ressorts avec un diplôme. J’ai l’impression de faire bon usage de mon temps. »

Au fond de la petite classe aux murs beiges, John-Karl fait des calculs d’algèbre complexes dans son cahier d’exercices : il termine ses mathématiques enrichies de 5e secondaire. « J’ai toujours dit que j’allais terminer ma 5e secondaire, mais j’avais abandonné l’école parce que ma vie était trop intense », explique-t-il.

Le jeune homme, qui espère étudier la gestion d’entreprise au niveau universitaire, se dit « chanceux » d’avoir été jugé mineur, quelques mois seulement avant d’atteindre sa majorité, car la peine aurait été beaucoup plus longue pour les adultes. « C’était un réveil téléphonique, confie-t-il. Je sais que je n’aurai pas de seconde chance. »

Au-delà de l’étiquette

Avec John-Karl, ils sont 5 dans la classe de Caroline, à l’école Le Tremplin, un établissement qui accueille les jeunes de 11 à 21 ans au sein même de la maison des jeunes de Chambly. La classe de Caroline est composée de jeunes contrevenants âgés de 16 à 21 ans qui purgent une peine en détention. Ils travaillent par module, chacun à son rythme, qui en français, qui en mathématiques ou en anglais, sur le modèle de l’éducation des adultes. Andrée-France, l’éducatrice, est là pour les aider à canaliser leurs émotions. Elle incarne la philosophie de la maison des jeunes de Chambly et de son école selon laquelle la scolarisation est un levier important pour la réhabilitation des jeunes.

Ici, ils ne nous étiquettent pas, ils nous traitent normalement. Ils nous donnent la chance de montrer qui nous sommes vraiment.

Contrairement aux éducateurs des unités de vie qui travaillent à la réinsertion des jeunes, le personnel enseignant ne connaît pas la nature des délits qu’ils ont commis. « Mon travail est de rendre les jeunes disponibles pour apprendre », explique Valérie Côté, directrice de l’école. Le psychologue et le psychoéducateur savent tout. Ils me disent ce que je dois savoir pour lui apprendre, pour l’accompagner en classe. Le reste, je ne veux pas le savoir. »

Les jeunes voient et nomment la différence. « Je préfère être ici que dans l’unité parce que l’ambiance est vraiment meilleure », confie Maximilien (nom d’emprunt), 16 ans, qui termine sa 4e secondaire.

Du fond de la classe, John-Karl ne peut s’empêcher d’ajouter aux propos de son ami. « Ici, ils ne nous étiquettent pas, ils nous traitent normalement. Ils nous donnent la chance de montrer qui nous sommes vraiment », dit-il.

« Au sommet, on démarre avec trois prises contre nous, ajoute-t-il. Ils ne nous connaissent même pas encore, ils ont déjà une idée de qui nous sommes à partir de notre dossier. C’est difficile de se réadapter quand on reçoit une étiquette de criminel. »

Pour Bobby (pseudonyme), 17 ans, l’école est une bouffée d’air frais et une grande source de fierté. « Quand je suis arrivé ici, j’étais en colère, j’étais toujours énervé. L’école est un dépaysement. Juste monter dans les unités serait tout simplement trop. Quand on travaille, ça permet de penser à autre chose qu’à ce qu’on a fait. »

Bobby aimerait aller au cégep pour travailler « en maladie mentale ». Adélär, 19 ans, qui a aussi choisi son prénom en insistant sur l’importance du tréma, rêve de faire le tour du monde à la voile. « J’ai fait beaucoup de choses au nom de la liberté », confie-t-il, tout en essayant de percer le mystère d’un Rubik’s cube à douze faces. Ce serait une façon de combler mon besoin de liberté de manière positive. »

Des incitations

Chacun reconnaît les efforts de son professeur et de son éducateur, qui ne comptent pas les heures et les encouragements. Ils se sentent écoutés, soutenus, valorisés. « On se sent important avec eux », confie Bobby, qui fait le tour de ses semis, un projet qu’il a développé avec Andrée-France et qui l’aide à se calmer.

« C’est bien d’entendre quelqu’un qui t’encourage, qui te dit : tu es capable », ajoute John-Karl.

« Nous sommes tous des gars intelligents, c’est juste qu’on ne nous a pas donné la chance de l’exploiter », ajoute Maximilien, qui se heurte à un problème mathématique. John-Karl lui explique comment calculer l’hypoténuse, sous l’œil attentif du professeur, qui se tient prêt à intervenir si nécessaire.

À l’étage, Geneviève Bigras, la responsable de l’unité où vivent certains des garçons de la classe, comprend qu’ils se sentent mieux lorsqu’ils sont à l’école. Elle l’explique notamment par la fierté des jeunes qui connaissent la réussite scolaire après une longue absence de l’école et qui peut leur faire « oublier » les raisons pour lesquelles ils sont en centre de réadaptation, soit qu’ils ont commis une infraction grave.

« Notre mandat au centre de réadaptation est de responsabiliser les jeunes et de protéger le public », rappelle Mme.moi Bigras. Dans les unités, toutes les activités sont prétexte à travailler sur les défis qui les ont menés à la délinquance, explique-t-elle. « Quand on fait des activités cliniques sur la gestion des émotions, de la colère ou de l’anxiété, on les fait revenir sur des situations qu’ils n’ont pas forcément envie de revenir. C’est sûr que c’est plus confrontant pour eux. »

Elle ajoute que la perception des jeunes évolue selon où ils en sont dans leur démarche et précise que tous les intervenants travaillent dans leur meilleur intérêt. « Lorsque nous choisissons de venir travailler ici, c’est parce que nous croyons en leur potentiel. »

Pourtant, pour certains, il semble plus facile d’être à leur meilleur lorsqu’ils contrôlent leur image. « Dans la classe, ils ne me voient pas de la même manière », conclut John-Karl. Mais c’est peut-être moi qui ne suis plus le même quand je suis ici. C’est peut-être plus facile d’être meilleur ici… »

Lire lundi : Concentrez-vous sur le renforcement positif et une approche sensible aux traumatismes. Le changement de cap de l’école Le Tremplin, à la maison des jeunes de Chambly.

A voir en vidéo

(function(d, s, id){ var js, fjs = d.getElementsByTagName(s)[0]; if (d.getElementById(id)) {return;} js = d.createElement(s); js.id = id; js.src = "https://connect.facebook.net/fr_CA/sdk.js"; fjs.parentNode.insertBefore(js, fjs); }(document, 'script', 'facebook-jssdk'));


ledevoir

Back to top button