Le mouvement social galvanisé par le mépris du gouvernement

Les dirigeants des huit syndicats unis contre la réforme des retraites se souviendront longtemps de cet étonnant jeudi 16 mars. Arrivés à midi devant l’Assemblée nationale pour exercer un dernier coup de pression sur un gouvernement qui avait alors encore toutes les cartes en main pour faire passer son réforme des retraites, ils se sont retrouvés en début de soirée au siège de la CGT à la tête d’un mouvement social galvanisé par le passage en force d’un exécutif soudain fragilisé.

L’adoption du texte porté par Élisabeth Borne est tellement tronquée qu’elle n’a pas mis fin à la polémique. Loin de là, estime même Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT : « En recourant au 49.3, le gouvernement démontre qu’il ne dispose pas de majorité pour approuver le report de deux ans de l’âge légal de la retraite. Le compromis politique a échoué. Ce sont les travailleurs qu’il faut écouter quand on prétend agir sur leur travail. »

En écho, la CGT a souligné dès le coup d’État parlementaire que « c’est bien la lutte acharnée des ouvriers, de la jeunesse, dans le cadre d’une intersyndicale complète, qui conduit à cette impossibilité pour Élisabeth Borne d’obtenir une majorité pour sa contre-réforme des retraites ».

Rassemblements spontanés

Pour les syndicats, le projet de réforme des retraites est désormais politiquement illégitime, en plus d’être largement contesté par la population. « Le 49.3 est un vice démocratique. Mais le gouvernement avait déjà déclenché le 47.1 auparavant (qui sert à limiter les débats parlementaires – NDLR) et utilisé un projet de loi modifiant le financement de la Sécurité sociale, qui n’est pas le bon avenant pour un grand projet de société »se souvient Frédéric Souillot, de Force Ouvrière.

Les prochaines heures devraient donc voir se multiplier les assemblées générales intersyndicales partout en France en vue de relancer les manifestations et les grèves, prédit Philippe Martinez : « Le passage forcé avec recours au 49.3 doit trouver une réponse à la mesure de ce mépris du peuple. La mobilisation et les grèves doivent augmenter. »

Beaucoup n’ont pas attendu leur signal pour continuer à s’opposer au recul de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. A Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, une cinquantaine de personnes ont par exemple investi les locaux de l’assurance maladie dans la matinée. « La sécurité sociale était détenue et gérée par les travailleurs en 1945. Aujourd’hui, l’État l’a prise et la détruit. Nous voulons reprendre le contrôle de ce qui nous appartient.réclame sur place Christophe Couderc, de la CGT.

Les dockers et ouvriers portuaires de Saint-Nazaire, Brest, Le Havre et Calais ont poursuivi leur grève et le blocage des quais durant le jeudi 16 mars qui avait été décrété « port mort » par la fédération CGT des ports et docks.

Loin de calmer les ardeurs, l’épidémie du 49.3 a généré une vague de rassemblements spontanés, comme à Orléans, Le Havre, Lyon ou Toulouse. A Paris, un meeting organisé par Solidaires, un temps interdit par la préfecture de police de Paris, s’est développé tout au long de l’après-midi sur la place de la Concorde, séparée de l’Assemblée nationale simplement par la Seine et un épais cordon policier. Rassemblant plusieurs milliers de personnes, elle s’est peu à peu muée en marche de protestation dans les rues de la capitale.

Répression antisyndicale

Face à une détermination française intacte, les syndicats craignent désormais que les autorités usent de la violence pour faire taire le mouvement social et tourner la page du large désaveu de son texte. « Le gouvernement remet de plus en plus en cause le droit de grève. Au lieu d’écouter les gens, ils utilisent la force »confirme Philippe Martinez.

« On a le sentiment qu’il y a eu beaucoup de violences, beaucoup de répression ces derniers jours. On sent que le gouvernement veut sonner la fin du mouvement social »confie Murielle Guilbert, co-secrétaire générale de Solidaires.

Ce gant de fer n’a pas eu raison des nombreux piquets tenus par les éboueurs comme les énergéticiens ou les raffineurs. « Le gouvernement espère peut-être une fin de partie, mais ce n’est pas ce qui va se passer », confirme Frédéric Souillot. Devant l’Assemblée nationale, puis dans la rue, tous ont en tête l’exemple de la mobilisation du premier contrat de travail, en 2006. Le texte, pourtant adopté, avait été retiré au vu de l’ampleur des mobilisations populaires.


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