La sûreté nucléaire, une réforme au risque de déstabilisation



Vu de l’extérieur, cela peut ressembler à une lutte de pouvoir entre ingénieurs. Mais le sujet est sensible, notamment lorsqu’il s’agit de contrôler la sûreté nucléaire. Le gouvernement veut réformer son organisation en supprimant l’un de ses maillons, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) qui apporte une expertise technique à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Une partie des équipes devrait rejoindre l’ASN et une autre le Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

Le gouvernement veut agir rapidement. La décision a été prise à l’Élysée le 3 février lors d’un conseil de politique nucléaire. Le 6, le directeur général de l’IRSN, Jean-Christophe Niel, a été convoqué par Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. Le 7, il a informé les 1 700 salariés par visioconférence de la mise en place de la décision gouvernementale.

Le 8 février, le ministère de la Transition énergétique a adressé un courrier au président de l’ASN, à l’administrateur général du CEA et au directeur général de l’IRSN, leur demandant de travailler sur ces « changements d’organisation ». Un amendement pourrait être glissé dans le projet de loi pour accélérer les procédures nucléaires, qui vient d’être voté au Sénat et sera débattu à l’Assemblée début mars.

L’objectif affiché du gouvernement est d’abord d’optimiser l’existant. « Etre plus efficace et gagner du temps avec des équipes rapprochées qui auront un volume d’activités croissant avec la relance de la filière nucléaire », explique le ministère de la Transition énergétique. La construction de six nouveaux EPR2 est prévue, dont les deux premiers à Penly (Seine-Maritime), où les préparatifs ont déjà commencé. Bref, il n’y a pas de temps à perdre.

« Le système bicéphale mis en place il y a quinze ans ne fonctionne plus. Normalement, l’IRSN instruit les dossiers sur saisine de l’ASN et lui donne ses avis. Mais depuis plusieurs années, l’IRSN lui-même communique les résultats de ses expertises, avant même que l’ASN ne rende ses décisions. Cette situation crée un conflit de compétences qui risque de discréditer tout le monde. », explique Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, aujourd’hui président de l’association Patrimoine nucléaire et climat (PNC-France).

A l’IRSN, tout le corps social s’insurge. Les syndicats ont appelé à la grève. « Que nous voulons améliorer le système, d’accord. Mais réprimer brutalement une organisation reconnue en France et à l’étranger est choquant., juge Thierry Charles, son ancien sous-directeur, aujourd’hui à la retraite. Il met en garde contre le risque de « créer la méfiance et déstabiliser un système qui fonctionne ».

Le conseil d’administration de l’IRSN a voté le 16 février, à une très large majorité, une motion alertant le gouvernement sur la « Risque de départs de personnel pouvant entraîner une paralysie du système ».

Reçus le lendemain pendant deux heures par Agnès Pannier-Runacher, les syndicats s’inquiètent, malgré les garanties sociales apportées par la ministre. « En France, la sûreté nucléaire s’enrichit en permanence de la recherche et vise à améliorer sans cesse les référentiels. On va casser tout ça pour aller vers une logique américaine, d’abord centrée sur la réglementation », Juge Luc Codron, délégué CFE-CGC à l’IRSN. Selon lui, le partage entre les équipes de recherche qui iront au CEA et le centre d’expertise repris par l’ASN s’annonce compliqué. « Beaucoup d’ingénieurs ont les deux fonctions en même temps », explique le syndicaliste.

L’audition à l’Assemblée, le 16 février, des principaux protagonistes n’a guère permis d’y voir plus clair. Le patron de l’ASN s’est contenté d’évoquer une « consolidation de l’ensemble du système de contrôle »tandis que l’administrateur du CEA expliquait « s’interdire par principe d’occuper un poste », afin de ne pas se retrouver en situation de conflit d’intérêts. L’ASN contrôle les installations du CEA avec l’appui technique de l’IRSN. Pour les mêmes raisons, le représentant d’Orano, la société qui produit le carburant, s’est refusé à tout commentaire.

Seul le représentant d’EDF s’est timidement prononcé en faveur de cette réforme, sans toutefois le dire explicitement. « Un dialogue à trois est plus compliqué qu’à deux », a souligné Bernard Salha, le directeur de la R&D. Reste la manière dont cela peut être perçu. « La confiance actuelle du public a été difficile à obtenir. Nous ne devons pas le casser d’un coup, sinon nous allons à nouveau éveiller les soupçons sur le nucléaire », estime l’ancien député Claude Birraux, qui fut aussi l’artisan de l’organisation actuelle.


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