La peur change de camp

Au moment même où Elisabeth Borne activait jeudi le 49.3 contre la représentation nationale, le Premier ministre a conclu son coup de force par cette phrase surréaliste : « La démocratie parlementaire aura le dernier mot. » Drôle de façon de souligner la prééminence du pouvoir législatif en commençant par le priver du droit de vote. L’hôte de Matignon a beau essayer de sauver les apparences, le fonctionnement normal des institutions, même sous la Constitution très monarchique de la Ve République, ne consiste pas à s’essuyer les pieds sur l’Assemblée nationale faute de pouvoir la mettre au pas , la mettant au défi de censurer le gouvernement si elle l’ose.

Quoi qu’en dise le chef du gouvernement, le recours au 49.3 ne sera jamais une procédure démocratique acceptable car, même en cas de dépôt d’une motion de censure, le combat ne se joue pas à armes égales. L’exécutif, bien que minoritaire sur son projet, est outrageusement avantagé face aux députés majoritaires mais paralysé par l’enjeu, qui dépasse le sort d’une loi. La Constitution n’offre aucune échappatoire à ceux dont les mains tremblent à l’heure du vote. L’abstention signifie soutien au gouvernement et, sans majorité absolue des 577 députés, pas de censure. L’exécutif le sait et l’utilise. En cent fois qu’il a dessiné le 49.3 depuis 1958, cela n’a jamais conduit à la chute d’un cabinet ministériel.

Aujourd’hui pourtant, la peur a changé de camp, au-delà du chantage odieux d’Emmanuel Macron, qui n’a pas hésité à pointer l’arme de la dissolution de l’Assemblée nationale vers les tempes des députés. La pression citoyenne est énorme et pourrait faire basculer le vote. L’enjeu fondamental, pour le mouvement social et la majorité des Français, est d’empêcher à tout prix la réforme des retraites. Le reste, comme le sort d’Elisabeth Borne et de ses ministres, est secondaire. Soit les députés exercent le droit que leur confère la Constitution. Soit les syndicats et l’opposition de gauche feront tout pour que le dernier mot revienne à la majorité populaire, d’une manière ou d’une autre.