François, pape de l’Église du Sud

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Rome

De notre envoyé spécial permanent

Sous ses yeux, la place est noire de monde. Un pape vient d’être élu et la foule, avertie par la fumée blanche la plus célèbre du monde, s’est massée, le 13 mars 2013, par centaines de milliers devant la basilique Saint-Pierre. L’homme qui apparaît sur le balcon est inconnu du grand public. Mais ce soir-là, les premiers mots de Jorge Mario Bergoglio, qui vient de choisir « François » comme prénom, sont limpides : « Vous savez que la tâche du conclave était de donner un évêque à Rome. Il paraît que mes confrères cardinaux sont allés le chercher presque au bout du monde… Mais nous y sommes… »

Si ça vient vraiment de » l’autre bout du monde « – façon de désigner l’Argentine – le nouveau pape est bien un étranger. Et il l’est à trois égards : non européen, non italien et étranger à la culture de la Curie, envers laquelle il n’a jamais caché son aversion lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires. Si bien que, très vite, certains espéraient – ​​ou craignaient – ​​de voir en lui celui qui allait opérer le grand basculement de l’Église catholique du Nord vers le Sud.

Et de fait, depuis dix ans, le rapport de François à l’Europe n’a cessé d’alimenter la discussion. « Pour lui, c’est une enfant gâtée », confie l’un des familiers du pape. UN « vieille dame fatiguée », aussi, comme l’affirme François lui-même, où l’avenir de l’Église catholique n’est plus en jeu. Le pape ne s’en cache pas : il craint une trop grande fermeture de l’Église en Occident, où il ne voit plus aucun dynamisme.

Parce qu’il considère que le Vieux Continent a été « gâté » par le passé, notamment à travers les nombreux voyages de ses prédécesseurs, François privilégie les pays périphériques, comme l’Albanie ou Chypre, et délaisse les Etats de tradition ancienne. Catholique, comme l’Espagne ou la France. Et s’il visitera Marseille quelques heures, en septembre, ce ne sera pas un voyage en France, a-t-il déjà répété. Plus encore : Marseille, où il participera à un rassemblement d’évêques européens, ne sera qu’une étape sur la route de la Mongolie, où il ira dans la foulée. « Sans doute se dit-il que son rôle n’est pas d’organiser des visites pour pallier le manque d’initiative des Eglises européennes », dit un de ses amis très proches.

Par contre, de nombreux fonctionnaires romains, à la Curie mais plus encore à la tête des grands ordres religieux, ont opéré ce basculement vers le Sud. Les jésuites sont maintenant dirigés par Arturo Sosa, un prêtre vénézuélien, tandis que les dominicains ont dirigé Gerard Timoner, un Philippin. Les grands ordres missionnaires n’échappent pas non plus à cette règle, comme le montre l’élection, en 2010, du premier supérieur africain, le Ghanéen Richard Baawobr, supérieur des Pères Blancs.

Dans les universités pontificales, les « changement de paradigme » provoquée par l’arrivée de François à la tête de l’Église catholique n’a échappé à personne. « Le fait qu’il vienne du Sud est un test pour l’Église, notamment parce qu’il interroge le rapport des catholiques occidentaux à l’Église non occidentale »croit le bibliste et jésuite burkinabé Paul Béré.

Ce théologien, lauréat du prix Ratzinger en 2019, sorte de « prix Nobel de théologie », a longtemps subi, dans son domaine d’expertise, les critiques de ceux qui voyaient en lui « un théologien de second ordre ». « Quand j’entends les critiques de certains cardinaux occidentaux vis-à-vis du pape, je me reconnais en luisouligne le père Béré. J’ai subi la même chose pendant des années. On m’a souvent regardé avec commisération, me faisant comprendre que rien de bon ni de sérieux ne pouvait sortir de l’Afrique, car c’était une théologie qui n’était pas basée sur les canons occidentaux. »

Outre une approche théologique classique, François est aussi celui qui a fait émerger de nouveaux thèmes. L’écologie, avec l’encyclique Laudato si’publié en 2015, en fait évidemment partie. « Il élargit le périmètre de la papautédit un bon observateur de la Curie. Désormais, on ne peut plus dire que le rôle d’un pape se limite à la liturgie et à la morale. »

C’est aussi le cas lorsqu’il prend en compte, comme aucun autre prédécesseur auparavant, les indigènes et les premiers peuples, en Amazonie ou au Canada notamment, dont il reçoit plusieurs fois les représentants à Rome. Il se rendra également en juillet 2022 à Québec, Edmonton et Iqaluit, dans le Grand Nord canadien, pour s’excuser des mauvais traitements et des crimes subis dans les pensionnats catholiques au XIXe siècle.e siècle. condamnant la « Effets terribles de la colonisation », il insiste, implicitement, sur le fait que l’Église n’est pas européenne. C’est au nom de ce même principe que le pape a résisté, depuis le début de la guerre en Ukraine, à la tentation de passer pour « l’aumônier de l’Ouest ».

Sa méfiance à l’égard des États-Unis a également alimenté l’idée que sa position est largement due à l’histoire de son pays. L’Argentine entretient des relations inégales avec le géant nord-américain, et le pape attribue aussi en partie à ce dernier la quasi-faillite de son pays au début des années 2000.

« Il n’y en a que pour les Argentins », se plaint d’ailleurs un vieux routard de la Curie. En effet, le nombre de compatriotes nommés par François est impressionnant, à la Curie romaine ou dans son cercle de proches conseillers. On peut citer Emilce Cuda, cheville ouvrière de la Commission pontificale pour l’Amérique latine, à Rome (lire p. 19), mais aussi Mgr. Victor Manuel Fernandez, archevêque de La Plata et l’un des stylos du pape pour ses encycliques. A Sainte-Marthe, où François vit et travaille, le père Pablo Enrique Suarez, membre argentin jusqu’en 2019 de la Fraternité Saint-Pie X, est aussi l’un des conseillers du pape, notamment sur la question traditionaliste.

Une telle inflation n’est pas exceptionnelle, répondent les proches du pape : il y a deux décennies, les services du pape n’étaient-ils pas pleins de Polonais, comme la diplomatie pontificale, où les compatriotes de Jean-Paul II sont encore surreprésentés aujourd’hui ?

Dans une Rome qui reste très italienne, François a aussi apporté une nette inflexion, en modifiant profondément l’équilibre géographique au sein du Collège des cardinaux. Lui qui avait été élu en 2013 par 60 Européens, sur 117 cardinaux, doublait le nombre d’Asiatiques parmi les électeurs potentiels d’un futur pape, tandis que, dans le même temps, il réduisait d’un tiers le nombre d’Italiens éligibles pour entrer dans la conclave. Les Nord-Américains sont passés de 20 à 16 électeurs, tandis que ceux du Sud ont vu leur nombre passer de 13 à 19. Ce rééquilibrage a un objectif clair : ancrer dans la durée le déplacement de l’Église vers le Sud.

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