Dans le sport, les femmes entraîneures restent trop rares

La belle histoire continue. Et ce n’est pas rien pour sa protagoniste principale, puisqu’elle a cru à un moment qu’elle n’allait même pas commencer. Lauriane Dolt sourit aujourd’hui, mais que de sentiments mitigés, de grandes peurs et de grandes interrogations avant d’ouvrir ce nouveau chapitre de sa vie !
Rembobinons. Jusqu’à début 2020. Lauriane Dolt, alors âgée de 37 ans, vient de décider de mettre sa carrière de basketteur entre parenthèses. Entièrement passé au club strasbourgeois, le « SIG », pour jouer au départ mais très vite pour s’entraîner, jeunes espoirs d’abord, puis les plus grands, et professionnels pendant quelques années comme adjoint du chef stratège Vincent Collet, lui aussi à la tête de l’équipe de France. Près de vingt ans de bons et loyaux services, avant que l’envie de prendre l’air ne prenne le dessus.
Entraîneur et maman
Son idée est double : aller voir ailleurs, notamment à l’étranger, ce qui se passe sous les paniers, et faire un enfant. Sauf que le Covid ferme la porte à ses projets de voyage, et que mère nature est capricieuse, l’obligeant ainsi que son compagnon à se lancer dans un protocole de fécondation in vitro (FIV) au long cours. Et voilà qu’un an plus tard, en février 2021, le club de Mulhouse Basket Agglomération lui propose de devenir l’entraîneur principal de son équipe professionnelle en National Masculin 1 (NM1, la troisième division) pour la saison suivante.
Coach féminine de haut niveau pour les hommes, elle n’existe pas alors sur les parquets brillants. Lauriane Dolt réfléchit. Le protocole de FIV est lourd, elle l’arrête avec son compagnon. Et banco pour Mulhouse ! La signature est prévue pour août 2021.
Mais badaboum, elle tombe enceinte naturellement en juillet. Super nouvelle. Cependant, elle n’est pas entièrement heureuse. « Je me suis dit : qu’est-ce que je vais faire ? Comment le président du club peut-il le prendre ? Je viens d’être embauché et je ne suis pas disponible ? Ça tournait dans ma têtese souvient Lauriane Dolt. Et puis – c’est dans ma nature – j’ai anticipé et je suis arrivé le jour de la signature, en jouant cartes sur table, avec un projet pour gérer la situation. Cela, mon président l’a parfaitement accepté, et je me suis reproché, après coup, d’en avoir fait tout un monde ! »
Lauriane Dolt s’entraîne jusqu’à son septième mois de grossesse, puis cède la place à son adjointe, accouche de son petit garçon début mars 2022, puis reprend progressivement sa place sur le banc. « Tout s’est passé très bien.elle dit. Cette saison, je pars souvent en déplacement. Pour la mère, il y a un fond de culpabilité qui s’éternise. Mais mon équilibre est là. Cela dit, tout cela me fait voir différemment cette question des entraîneures. Cela ne s’est pas posé pour moi car, dès l’âge de 16 ans, les choses se sont faites naturellement, et j’ai toujours évolué à l’aise dans un milieu masculin. C’est aujourd’hui que je mesure le plus la complexité des choses. »
24 entraîneurs uniquement dans l’élite des sports collectifs
Car l’histoire de Lauriane Dolt est vraiment unique. Au-delà de la question de la maternité, les femmes entraîneures sont déjà très rares. Sur 536 équipes professionnelles et d’élite dans les cinq grands sports collectifs (basket, football, handball, rugby, volley), la Fédération des entraîneurs professionnels (FEP) compte à peine 24 femmes comme entraîneurs principaux. 4,48%, une somme dérisoire.
« La proportion est plus élevée dans les centres de formation, les équipes jeunes, mais il y a un plafond de verre quand il s’agit d’entraîner l’éliteon note à la FEP. Les causes ? Ils sont multiples. L’absence de modèles, bien sûr. Les plans de féminisation existent dans les fédérations, mais ne bénéficient pas toujours de beaucoup de moyens. Le manque de stabilité économique, aussi, du secteur féminin dans son ensemble : la professionnalisation des joueuses n’est pas garantie partout, celle des entraîneurs non plus. »
Lauriane Dolt entend souvent parler du manque de modèles. Et pour cause : on lui ferait revêtir le costume d’ambassadrice. Mais ce n’est pas vraiment son tempérament. Pas plus que celle de Valérie Garnier. L’ancienne maîtresse de jeu des Bleues du basket (de 2013 à 2021) et de Bourges (entre autres) est aujourd’hui la seule à bénéficier d’une expérience chez les femmes et les hommes, puisqu’elle entraîne depuis décembre 2022 le club NM1 Tours Métropole Basket. . « J’ai certainement eu des messages de collègues qui me disaient : encore une porte que tu pousses pour nous les femmesdit Valérie Garnier. Mais je n’ai pas l’état d’esprit du porte-drapeau. »
Des quotas seront-ils nécessaires ?
Cela n’empêche pas l’entraîneur, à 58 ans, d’observer de nombreux points de blocage. « J’ai observé à plusieurs reprises, lorsqu’une coach quitte un poste ou est démis de ses fonctions, qu’elle peine à trouver une place alors que les hommes participent plus facilement à un jeu de chaises musicales. Pour nous, l’effet réseau ne joue pas. Et puis il faut reconnaître qu’il y a encore peu de présidents qui songent à embaucher une femme. »
Angélique Spincer, 38 ans, ne dira pas le contraire, elle qui est la seule (avec la Danoise Helle Thomsen à Nantes) à diriger une équipe féminine d’élite de handball, au Plan-de-Cuques (Bouches-du-Rhône). Le vice-champion du monde 2011 est devenu entraîneur presque par hasard, à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). « J’avais signé dans mon dernier contrat de joueur une transformation en CDI au sein du club, mais sans préciser le posteelle explique. Les besoins étaient là, pour reprendre une équipe, et donc je me suis entraîné. Je n’y avais pas pensé car au cours de nos carrières de joueuses, on rencontre très peu de femmes dans le métier d’entraîneur. Cela donne l’impression que ces métiers sont réservés aux hommes. Nous avons besoin de plus de personnel mixte. J’essaie de changer ça dans mon club, avec un entraîneur des gardiens, une femme en charge de l’équipe de National 2 notamment. J’ai la chance d’avoir des dirigeants ouverts à cette évolution. »
Les nouvelles générations, plus sensibles à ces enjeux de diversité, postuleront-elles plus facilement à ces postes ? Lauriane Dolt n’est pas convaincue. Elle, qui participe à de nombreuses formations au niveau départemental ou régional, constate : « Depuis 2 ou 3 ans, les candidats pour former ou être cadres techniques diminuent », regrette-t-elle. Faut-il donc passer par une politique de quotas ? Lauriane Dolt et Valérie Garnier sont en phase sur ce chapitre, jugeant les quotas « insultant » et rêver qu’on ne parle que de compétences. Angélique Spincer est plus mesurée : «Peu importe ce que nous faisons et disons, les choses ne bougent que lentement. Donc, si vous devez passer par des quotas… »
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La lente féminisation du sport
En juin 2021, les principales organisations du mouvement sportif ont signé l’Appel de Paris pour le Sport, s’engager pour une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, notamment à travers des plans de féminisation. La Fédération des formateurs professionnels a rejoint cet appel en janvier 2022.
En 2022, il y avait 19 femmes présidentes d’une fédération sportive (hockey sur gazon, ski, football américain, etc.) et 17 directeurs techniques nationaux (volley, escrime, équitation, etc.).
Avec 4,9 millions de licences sur 13 millions, les femmes représentent 37,8 % des licenciés sportifs en 2021. Un chiffre en baisse, selon le recensement annuel de la Mission enquêtes, données et études statistiques (Medes). Les fédérations les plus féminisées sont celles des sports de glace (87,4% d’adhérents), de la danse (85,5%), de l’équitation (83,8%) et de la gymnastique (82,8%).
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