[Critique] « Oiseaux de passage » : Bilan avant liquidation


Divorcé depuis dix ans, père d’un « fils désastreux » de vingt-cinq ans et professeur de philosophie dans un lycée de Madrid, désabusé à la puissance 10, Toni se voit « comme un moribond sans problème de santé ».

Par conséquent, dans un an, l’homme de 50 ans a décidé de se suicider. Comme preuve définitive de son insignifiance, il notera jusqu’à sa date d’expiration ce qui lui arrive et nous dira ad-lib souvenirs de sa vie. C’est le point de départ deOiseaux de passagele dixième roman de Fernando Aramburu.

Divorcé depuis dix ans, après seize ans d’un mariage en forme d' »ère glaciaire », son ex-femme ayant décidé d’assumer son homosexualité – un élément narratif qui évite au personnage d’examiner ses propres défauts -, notre homme a longtemps depuis renoncé à l’amour.

« La vie ne me plaît pas », écrit-il. Si belle qu’elle soit, d’après certains chanteurs ou poètes, je ne l’aime pas. […] Je trouve que la vie est une invention perverse, mal conçue et encore plus mal exécutée. »

En tant que professeur, il est revenu de tout. « À quoi bon se creuser la cervelle si on a des machines à intelligence artificielle ? Son pronostic est noir. « Ces jeunes finiront par acclamer toute forme de tyrannie. Il fait éclater les illusions de ses élèves : « Il n’y a pas d’âme immortelle. Il n’y a ni paradis ni enfer. Il n’y a ni Dieu ni la parole de Dieu. »

Sans surprise, tout ce qui l’intéresse désormais dans l’enseignement, c’est le salaire qu’il en retire. La philosophie ? Regardez la définition qu’il en donne, avec une once de mauvaise foi : « Énoncé + langage compliqué = philosophie. »

Pour le maintenir à flot, il n’y a que son petit chien Pepa et ses rencontres au bar avec son seul ami, qu’il surnomme sans le vouloir Pattarsouille, aussi seul qu’il est mais qui, malgré la perte d’une jambe dans les attentats de Madrid en 2004, reste jovial et bon enfant. Sa vie sexuelle ? Une poupée gonflable de fabrication japonaise lui épargne le sexe rémunéré et la « conscience coupable d’être un maillon d’une chaîne d’exploitation humaine ».

Alors qu’Águeda, une ancienne fiancée au physique ingrat mais aux très jolis pieds, tente de se rapprocher de lui et de Pattarsouille (avec son gros chien qui répond au nom de… Toni), le héros de cette tragi-comédie fait le ménage dans son appartement, pose ses affaires en ordre, dissémine au jour le jour sa bibliothèque sur les bancs publics. Tout cela en peaufinant ses souvenirs d’enfance, ceux de son mariage désastreux et ceux de son divorce mouvementé.

Après Patrie (Actes Sud, 2018), grand roman qui a abordé de front la question du terrorisme et relaté les plaies à vif du Pays basque espagnol, Fernando Aramburu nous adresse un rapport avant liquidation.

Malgré quelques pépites, Oiseaux de passage reste plein de gras, parfois filandreux, et beaucoup trop long. Mais boursouflé des moindres détails de l’existence de tout homme, le roman n’est pas aussi caustique qu’on pourrait le penser. C’est, au final, une belle ode à l’amitié et, quoi qu’en pense Toni, une célébration de la vie.

Oiseaux de passage

★★★

Fernando Aramburu, traduit de l’espagnol par Claude Breton, Actes Sud, Arles, 2023, 740 pages

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