[Chronique] L’ubérisation des enfants | Le devoir


« Hé papa, combien ai-je coûté ? Cette question est encore imaginaire, mais plus pour longtemps. Rien n’empêchera bientôt un enfant de découvrir que, sur le marché de la procréation assistée, il valait entre 100 000 et 150 000 euros. C’est le prix payé par l’animateur français Christophe Beaugrand et son mari pour acquérir Valentin auprès d’une mère porteuse du Nevada. Et puisque dans ce monde tout a un prix, peut-être que Valentin pourra bientôt comparer son prix d’achat avec celui de ses camarades de classe sur son téléphone portable. Qui dit mieux ?

En ces matières, la réalité a depuis longtemps rattrapé la fiction. Le Québec était jusqu’à tout récemment l’une des nations qui, comme la France et le Maroc, se targuait d’interdire la gestation pour autrui (GPA) en affirmant que tout contrat conclu sur un être vivant était « absolument nul ». . Le projet de loi 12 mettra fin à cette exception, soumettant à nouveau le Québec au mercantilisme canadien qui, en dix ans, a fait de ce pays l’une des principales destinations d’un lucratif marché procréatif.

Certes, le projet de loi prétend « encadrer » la GPA en permettant à la « mère porteuse » de résilier le contrat, en imposant des « séances d’information préalable » et en interdisant la rémunération (mais pas le remboursement des frais). Pourtant, ce n’est pas parce que le Code noir, proclamé de triste mémoire en 1685, réglementait la pratique de l’esclavage et limitait ses excès qu’il en faisait une pratique moins barbare. La comparaison peut sembler exagérée, mais les deux cas impliquent la marchandisation des corps.

C’est ce qu’ont affirmé une centaine d’avocats, médecins et psychologues du monde entier, réunis le 3 mars à Casablanca. Sous l’égide de l’ancien président du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, Luis Ernesto Pedernera Reyna, ils ont exigé l’abolition universelle de cette pratique « contraire à la dignité humaine ».

Le « GPA éthique » que la loi 12 prétend établir est un leurre, disent ces experts. D’abord parce qu’à l’exception de cas rarissimes (ou psychiatriques), aucune femme ne rêve de tomber enceinte pour donner son enfant à des inconnus. Ce « gratuit » est donc le plus souvent un vœu pieux. Ensuite, parce que, rémunérée ou non, la gestation pour autrui consiste à mettre le corps d’une femme à disposition d’autrui malgré tous les dangers inhérents à la grossesse : 20 % de fausses couches, 15 % d’épisiotomies, 20 % de césariennes, 15 % de forceps, etc. Tout cela dans l’ordre, au au bout de neuf mois, lui arracher son enfant et le mettre par contrat à la disposition de parrains comme on ferait avec n’importe quelle marchandise.

Depuis de nombreuses années, la science ne cesse de démontrer l’importance et la richesse de la vie intra-utérine. Tous les médecins connaissent les effets délétères, tant pour la mère que pour l’enfant, d’une séparation brutale et définitive après neuf mois de vie commune. Spécialiste du nouveau-né, Marie-Claire Busnel parle même d’une « blessure primordiale ». Ceux qui ont été confrontés à l’adoption d’un enfant savent qu’elle ne se ferme jamais complètement.

Et maintenant, au nom d’un prétendu « droit à l’enfant », certains revendiquent le privilège de créer sciemment des orphelins pour assouvir leur « désir d’enfant ». Depuis des temps immémoriaux, l’adoption a été utilisée pour rattraper au mieux les accidents de la vie. De quel droit s’autoriserait-on désormais à planifier volontairement l’abandon d’un nourrisson par sa mère pour le mettre dans les bras d’un étranger, fût-il donneur de gamètes ?

En France et au Québec, des personnalités ont diffusé leur histoire personnelle d’adoption, souvent parfumée à l’eau de rose, dans les médias. Ce n’est évidemment pas leur « amour » qui est ici en cause. Sauf qu’aucun amour ne justifie d’instrumentaliser le corps d’une femme et d’imposer à l’enfant des stigmates qu’il portera toute sa vie. Le tout aux frais du contribuable.

Ici, le culte des droits individuels nous égare. Si nos sociétés ont des devoirs et des responsabilités, ce n’est pas à l’égard de ces « parents d’intention », mais à l’égard des plus vulnérables : la mère et l’enfant. « Il n’y a de droit à l’enfant que de le transformer en marchandise », écrivait le biologiste Jacques Testart. Ce pionnier de la procréation assistée a déploré que les méthodes qu’il avait contribué à développer, « pour résoudre les vrais malheurs, s’imposent peu à peu pour corriger les frustrations, voire proposer une échappatoire à la condition humaine ». Si la médecine a raison d’aider les couples souffrant d’infertilité, rappelle le chercheur, elle n’est pas là pour repousser les limites inhérentes à leur condition biologique.

Nous sommes ici dans le domaine de l’hybris et de l’excès. Car de quoi rêvent ces individus-rois, sinon du « meilleur des mondes » post-humain, où l’indifférenciation sexuelle leur permettrait d’assouvir leur « désir d’enfant » quand ils le veulent et à n’importe quel prix ? Un peu comme commander un repas sur Uber.

Il est aussi surprenant de constater le silence assourdissant de certaines féministes face à cette marchandisation du corps des femmes. Faut-il y voir la marque de ce « féminisme intersectionnel » que certains prônent même à l’Assemblée nationale et que la féministe américaine Christina Hoff Sommers avait plutôt qualifié de « féminisme kidnappé » ? Un féminisme qui, si nous avons bien compris, relègue les intérêts vitaux des femmes et des enfants loin derrière ceux des minorités raciales, ethniques ou sexuelles.

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