Agriculture : Une année 2022 perturbée par « la loi du marché »

Nous avons récemment publié plusieurs articles sur ce qu’on appelle la « décapitalisation » dans les exploitations agricoles. Il consistait à réduire le cheptel bovin, ovin, porcin et volaille ces dernières années dans les exploitations françaises. En l’absence de prix suffisamment rémunérateurs, les éleveurs vendaient des reproducteurs, réduisant ainsi la taille de leurs troupeaux pour ne pas s’endetter trop. Les sécheresses, de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues, ont aussi contribué à cette décapitalisation. Car acheter du fourrage à prix d’or a aggravé la situation économique des éleveurs. Les chiffres publiés lors d’une conférence de presse tenue le 14 février par Sébastien Windsor, président national des chambres d’agriculture avec les deux économistes Marine Raffray et Thierry Pouch qui travaillent pour cette structure, confirment cette décapitalisation, mais aussi les baisses de production attribuées à la sécheresse. .
En 2022, les surfaces de blé tendre, principalement utilisé pour produire du pain, n’ont baissé que de -2,8% et les rendements ont chuté de -0,9% en moyenne des cinq années précédentes. Mais pour le blé dur, cultivé plus au sud du pays pour produire des pâtes, la baisse des surfaces est de -15,9 % et la production chute de -19,3 % en tonnage. Les surfaces irriguées en maïs grain ont baissé de -18,5% et les rendements de -24,7%. Les rendements du maïs grain non irrigué chutent de -23,4 %. Le soja, que la France cultive trop peu par rapport à ses besoins, a augmenté de +13,4 % en surface mais avec des rendements à l’hectare en baisse de -19,7 %. La betterave à sucre a baissé de -10,3 % en surface et de 4,8 % en rendement à l’hectare.
La production de lait de vache en baisse de 3% en 2022
La production de lait de vache a baissé de -3% au cours des trois premiers trimestres 2022 et de -4% au quatrième par rapport à la moyenne des années 2017 à 2021. La baisse devrait se poursuivre en 2023 d’environ -5% selon les Chambres. Après plusieurs années de décapitalisation entre 2017 et 2021, les abattages de vaches laitières de réforme sont en baisse de -8% en 2022, ceux de vaches allaitantes de -1%, ceux de bovins mâles engraissés pour l’abattage de -8% et ceux de veaux de boucherie de -9 %. Ce n’est pas surprenant quand on sait que la décapitalisation a fait chuter le nombre de vaches reproductrices de plus de 800 000 têtes en cinq ans dans les exploitations laitières et bovines. Les abattages de volailles sont en baisse de -11% en 2022 par rapport à la moyenne des cinq années précédentes et cette baisse atteint -24,7% pour les dindes, -24,4% pour les pintades et -42% pour les canards. Mais cette baisse est principalement imputable à l’abattage sanitaire pour tenter d’endiguer la grippe aviaire en France.
Dans les céréales, la baisse des volumes produits se traduit souvent par une hausse des prix. Surtout quand la production mondiale risque d’être insuffisante pour satisfaire une demande solvable. Sous la barre des 200 € entre 2013 et 2020, le prix de la tonne de blé tendre, livrée au port de Rouen à l’export, était souvent égal ou supérieur à 300 € en 2022. Il était de 294 € le 14 février, mais ce la régularité depuis novembre 2022 est imputable à la régularité des exportations de la Russie qui, du fait de la baisse du rouble face au dollar, pourrait exporter plus de 60 millions de tonnes de blé tendre sur douze mois, soit près du double de la production de blé tendre d’un pays comme la France. Le prix du maïs a évolué de manière similaire à celui du blé sur les marchés. Il cotait 285 € la tonne le 14 février contre 244 € un an plus tôt et 210 € en février 2021.
La baisse des volumes de produits a fait grimper les prix
De 2017 à 2021, le prix du lait de vache est passé sous la barre des 330 € pour 1 000 litres sortie ferme en raison d’une offre abondante dans plusieurs pays européens, suite à la libération des quotas par pays. en 2015. En raison de la baisse de la production européenne, il a augmenté régulièrement en 2022 pour atteindre 440 € en fin d’année. Début 2023, les jeunes bovins viande sont payés 5,30 € par kilo de carcasse contre une moyenne de 4 € les cinq années précédentes. Du fait de la hausse des prix, la « valeur ajoutée brute » des exploitations serait en hausse de +15,4% en 2022 selon les chambres d’agriculture. Le revenu net des céréaliers et éleveurs sera en hausse dans la plupart des productions en 2022 après cinq années de prix bas qui ont conduit à une importante décapitalisation de l’élevage. Mais difficile de savoir aujourd’hui si cette amélioration des revenus est uniquement imputable à la loi de l’offre et de la demande, voire en partie aux deux lois EGALIM votées en 2018 et 2021. Car c’est surtout la raréfaction de l’offre qui a fait grimper les prix.
Vers une forte hausse des coûts de production en 2023
Pour 2023, les coûts de production des agriculteurs augmenteront significativement. L’augmentation moyenne des prix du carburant pour les tracteurs était de 69 % en glissement annuel en janvier et les prix des engrais connaissent une tendance similaire. Composés de céréales et de tourteaux, les prix des aliments pour porcs et volailles seront très chers. En raison de la guerre sur son territoire, l’Ukraine récoltera et exportera beaucoup moins de céréales en 2023 par rapport à 2022. Il est possible que la spéculation sur le blé et les autres céréales redémarre au niveau mondial d’ici l’été 2023 Dans plusieurs régions du monde, les aléas climatiques risquent de faire chuter les rendements, tandis que le nombre de personnes sous-alimentées avoisine les 800 millions, tandis que 600 autres millions sont confrontés à une prévalence de la sous-alimentation.
En France, du fait de la baisse du pouvoir d’achat des ménages et d’une nouvelle tendance à acheter des produits d’entrée de gamme en magasin, les débouchés qui se contractent le plus sont ceux des produits issus de l’agriculture biologique et des autres filières sous signes de qualité. Cela montre aussi que vouloir accélérer la conversion au bio n’est pas un pari gagné d’avance quand la demande de volume ne répond plus à l’offre. En 2022, les producteurs de lait bio étaient moins payés que les producteurs de lait conventionnel alors que leurs coûts de production sont environ 20 % plus élevés.
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