Abus sexuels dans l’Église : « La pleine réparation est difficile, voire impossible »

Il avait gardé cette douleur pour lui. Pendant quarante ans, il a caché le mal qui le rongeait. Même sa femme n’était pas au courant. Et puis un jour, il a envoyé un mail à l’Autorité nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr). « Je n’aurais jamais imaginé qu’une telle approche puisse exister »témoigne aujourd’hui l’homme qui a été victime, enfant, d’un prêtre pédophile. « C’était la première fois que je qualifiais les abus que j’ai subis »dit un autre homme qui avoue avoir toujours eu au fond de son corps et de son cœur, « ces cris d’enfants ». Eux, et de nombreuses autres victimes, disent qu’ils voulaient sortir de la boue. Témoigner. mettre des mots « pour que ça ne se reproduise plus ». L’un d’eux prétend encore vouloir : « réparer un silence qui a pu contribuer à ce que d’autres enfants soient également maltraités ». Un peu plus d’un an après son lancement, l’Inirr, l’organisme chargé des réparations et de l’indemnisation des enfants victimes de délinquance dans l’Église, a publié jeudi 9 mars un premier rapport. Cette structure a été créée par la Conférence des évêques de France, suite au rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). Après deux ans et demi de travail, Ciase a révélé qu’en 70 ans, 330 000 mineurs avaient été victimes de violences sexuelles.
Au total, depuis plus d’un an et au 1 euh En mars, 1186 victimes (de viols répétés depuis plusieurs années dans plus de la moitié des cas) ont contacté l’Inirr, 404 sont actuellement suivies et 190 ont été indemnisées sur décision d’un collège composé de 12 volontaires. L’indemnisation monte à 60 000 euros, avec un montant moyen de 38 000 euros. 80% des décisions correspondent à des réparations au-delà de 20 000 euros. Pour déterminer leur montant, un récapitulatif de ce qui est arrivé à la victime, rédigé avec l’aide d’un référent de situation, est transmis au collège.
Un bilan qui peut paraître bien maigre, vu l’ampleur du phénomène de la pédocriminalité dans l’Église. La juriste Marie Derain de Vaucresson, présidente de l’Inirr, rappelle : « Nous avons reçu moins de 1 200 demandes d’indemnisation, dont 500 dans les trois premiers mois de la création de l’organisme. On peut imaginer que des personnes ayant vécu des actes autres que des viols, classés dans la catégorie « moins grave », ne nous contactent pas ». Surtout, ça prend du temps, dit-on ici. Ainsi, 58% des situations soumises aux poursuites sont de longue durée, les faits incriminés se répètent depuis au moins un an, voire plus de cinq ans pour 21% d’entre eux. « Ce qui a été proposé dès le départ, c’est un accompagnement qui va au-delà de la simple compensation financière, insiste Marie Derain de Vaucresson. Ce processus individualisé prend du temps.. Parmi les victimes, 31% sont des femmes et 24% ont plus de 70 ans, l’âge moyen étant de 63 ans. Ils échangeront en moyenne trois fois avec leur référent de situation (il y en a une quinzaine au total).
Laure de Balincourt a participé à la création de l’Inirr. D’abord référent bénévole, cet hypnothérapeute qui travaille avec les adolescents sur l’estime de soi est aujourd’hui salarié. « Il est essentiel d’accorder tout le temps nécessaire à chaque victime d’agression sexuelle, elle dit. Chaque sensation est unique. Une personne traumatisée est constamment en décalage avec le monde. Inverser le processus et s’y adapter fait partie de la reconnaissance ». Une fois la confiance établie, il y a l’indispensable écoute. « Une écoute engagée », poursuit la psychothérapeute. Nous allons penser l’histoire avec la personne et mettre de l’ordre dans son chaos.. Vient ensuite le temps de la rédaction des récits collectés par les référents. Celui de la synthèse pour le collège dont Xavier Dupont, retraité de l’administration, fait partie. « Nous sommes un collège d’apprenants, pas d’experts, il insiste. Nous avons vite compris à quel point il était important de s’appuyer sur la pluridisciplinarité que nous formons ; travailleurs sociaux, avocats, magistrats, administrateurs, associations… Nous avons appris combien la révélation peut causer de la douleur et du traumatisme. Il faut aussi prendre en considération toutes les conséquences de la violence sur la victime lorsqu’il s’agit d’apprécier la gravité des faits.. Les victimes, quant à elles, parlent de consolation et affirment que cette démarche contribue à leur apaisement. Car, Marie Derain de Vaucresson en convient : « une réparation complète est difficile, voire impossible ». « S’il est possible qu’un jour les gens puissent nous écouter, entendre ce que nous avons vécu, ce que nous gardons au fond de nous, alors il y a encore quelque chose de ‘possible espoir dans notre monde’envoyé un email à une victime à son référent.
Nadège Dubessay
Fr1