A la veille de prendre sa retraite, un médecin craint de laisser ses 800 patients âgés et vulnérables sans suivi

Une médecin de famille de 65 ans qui prendra sa retraite à la fin de l’année dénonce l’abandon de ses 800 patients âgés, malades et vulnérables, anxieux à l’idée d’être laissés sans suivi ou aux urgences .
• Lire aussi – Un défi de recrutement titanesque : le réseau de la santé a besoin de 120 000 nouveaux travailleurs d’ici cinq ans
• Lire aussi – Santé : 6 000 salariés de moins qu’il y a trois ans
« Le sort de mes patients me hante, avoue Dre Geneviève Dechêne, qui prendra une retraite partielle en décembre prochain. C’est une catastrophe humaine. »
Sentiment d’abandon, tristesse, colère : cette médecin de famille de Verdun est hantée par toutes sortes d’émotions depuis qu’elle a décidé d’arrêter de pratiquer en cabinet, après 40 ans de pratique.
A la fin de l’année, elle craint que ses 800 patients, pour la plupart âgés et vulnérables, se retrouvent sans suivi.
Aucun patient n’a appelé
« Je suis épuisée physiquement, je n’ai pas le choix », confie la femme, qui continuera à faire des soins à domicile, 30 heures par semaine.
En décembre 2021, le médecin a informé ses patients qu’elle prendrait sa retraite dans deux ans. A ce jour, aucun des 800 patients n’a été appelé par un nouveau médecin généraliste depuis le guichet d’accès au médecin de famille (GAMF), déplore-t-elle.
Dans un contexte où le quart des médecins de famille ont plus de 60 ans, de nombreux Québécois se retrouveront aussi bientôt orphelins (voir tableau).
Longtemps suivis par le Dr Dechêne, plusieurs patients habitent loin de Verdun, même certains jusqu’à Québec ou Kamouraska.
« J’ai une dame de 88 ans qui vient de Sherbrooke en voiture pour venir me voir quand elle est malade », a-t-elle dit. Il y a des enfants qui s’absentent pour faire un aller-retour avec leurs parents de 80 ans.
Par ailleurs, la Dre Dechêne dénonce le fait que ses patients ont de la difficulté à s’inscrire sur la liste d’attente de la GAMF sans renoncer à leur médecin actuel, pourtant prévu par la Régie de l’assurance maladie du Québec. (RAMQ).
« On leur dit qu’ils doivent se désinscrire ! Plus de 300 patients m’ont appelé, je perds mon souffle à essayer de les aider. J’ai même dû m’appeler aux guichets [régionaux], déplore-t-elle. C’est détraqué. »
Des années d’attente ?
L’an prochain, ses patients orphelins devront se tourner vers le Frontline Access Window (GAP), un système de rendez-vous d’urgence qui ne convient pas aux aînés vulnérables, selon le Dr Dechêne.
«Ce sont des affaires trop lourdes. […] Mes patients ne prennent pas deux pilules, ils en prennent 25 ! elle dit.
« Un patient a reçu sa lettre du GAP, il a sangloté pendant 10 minutes au téléphone. Cet homme n’avait jamais pleuré. Il savait ce qui allait arriver pour lui et sa femme », ajoute-t-elle.
Selon le médecin, ces patients pourraient devoir attendre des années avant d’être pris en charge, et se retrouveront aux urgences hospitalières.
Ce qui l’enrage le plus, c’est qu’elle est convaincue que tout ce problème est causé par le fait que les médecins de famille sont obligés de travailler dans les hôpitaux.
«Il y a 1 500 à temps plein dans les hôpitaux qui pourraient retourner en première ligne. En réalité, il n’y aurait plus de pénurie de médecins de famille, ce serait réglé !
Médecins québécois âgés
- Médecins de plus de 60 ans : 5 444 (24 %)
- Médecins de plus de 70 ans : 1 470 (6 %)
- Médecins généralistes : 10 739 (47 %)
- Médecins au Québec : 22 734
*Source : Collège des médecins du Québec
Jusqu’à cinq ans d’attente
Un patient du Dr Dechêne est découragé de devoir se trouver un nouveau médecin de famille, une quête qui pourrait prendre jusqu’à cinq ans, lui a-t-on dit.
« C’est inquiétant de savoir que je vais me retrouver sans médecin pendant des années, en vieillissant », confie André Saint-Amand, 62 ans.
Puisque son médecin de famille, Dre Geneviève Dechêne, prendra sa retraite en décembre prochain, le résident de Longueuil s’est inscrit au guichet d’accès aux médecins de famille de sa région il y a plus de six mois.
Au téléphone, la secrétaire lui a dit que le retard de prise en charge pouvait prendre « jusqu’à quatre ans, parfois cinq », relate l’homme, qui était suivi par ce médecin depuis 40 ans.
Anxiété accrue
« J’ai été très déçu [qu’elle parte]. C’est un très bon médecin, elle connaît mon dossier depuis des années, confie-t-il. Ce qui ajoute à l’anxiété, c’est que je connais l’état du système de santé et les longs délais.
Il rappelle que son frère, très malade, a attendu quatre ans avant de trouver un médecin. Bien qu’il soit toujours en forme, l’homme a des soucis de santé qui nécessitent un suivi.
« Je me demande si la solution n’est pas le secteur privé, pour retirer de l’argent », a-t-il déclaré. Mais, nous creusons dans notre pension à chaque fois que nous dépensons.
journaldequebec